Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Vidéosurveillance du domaine public par des privés (2017.1749)

Protection des données

Vidéosurveillance de l’espace public effectuée par des privés

Avis du PPDT 2017.1749 mis à jour le 6 avril 2021

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Les particuliers n'ont en principe pas le droit de faire de vidéosurveillance de l'espace public. Seules des exceptions très étroitement encadrées sont possibles.

Les règles neuchâteloises/jurassiennes de protection des données ne permettent pas aux autorités d’autoriser des privés à filmer le domaine public, faute de base légale suffisante. Pour la même raison, les autorités administratives/pénales communales ou cantonales, n’ont pas le pouvoir seules d’exiger le retrait de la caméra (arrêt du Tribunal cantonal vaudois du 19 novembre 2019, AC.2018.0374). Elles peuvent, comme tout citoyen gêné, dénoncer le cas au Préposé fédéral (qui n’intervient pas systématiquement) ou saisir la justice civile pour ordonner le retrait. Le PPDT n'est pas légitimé pour intervenir. Les caméras factices doivent être traitées comme des vraies selon la jurisprudence fédérale.

Selon le PFPDT, un système de vidéosurveillance filmant l'espace public dans le but de protéger les intérêts de particuliers enregistre des images d'un nombre indéterminé de personnes et porte ainsi atteinte à leurs droits de la personnalité. Les personnes concernées ne peuvent souvent pas éviter l'espace surveillé et sont obligées de tolérer cette atteinte à leurs droits, que des intérêts privés ne sauraient justifier:

  1. Intérêts en matière de sécurité : assurer la sécurité et l'ordre publics n'incombe pas aux particuliers, mais à la police. Un particulier ne peut donc pas arguer de son intérêt en matière de sécurité pour surveiller l'espace public.

  2. Autres intérêts (p. ex. des webcams à des fins de publicité ou d'animation) : dans ces cas, l'atteinte aux droits de la personnalité causée par la vidéosurveillance va trop loin; il faut donner la préséance à la protection de la personnalité (sur cette question, voir les explications).

Pour ces raisons, l'installation de systèmes de vidéosurveillance privés de l'espace public est généralement jugée disproportionnée et interdite.

Exemple :

Un propriétaire constate que des passants causent régulièrement des dommages à sa maison, et aimerait pour cette raison faire surveiller la rue devant sa maison par une caméra. Une telle vidéosurveillance ne peut pas être effectuée par le propriétaire lui-même; c'est la police qui est compétente.

Un hôtelier installe une caméra filmant les environs de son établissement. Comme il ne poursuit  aucun intérêt prépondérant à la protection de la personnalité, son action n'est licite qu'à condition qu'aucune personne filmée ne soit reconnaissable sur les images et que la sphère privée des habitants des maisons avoisinantes soit garantie (voir aussi les explications).

Cette règle peut souffrir deux exceptions :

1. Dans le cadre de la vidéosurveillance licite d'un terrain privé (aide-mémoire «Vidéosurveillance effectuée par des particuliers» fournit les informations y relatives), de l'espace public est filmé. Lorsque les portions d'espace public sont petites et que la surveillance du terrain privé ne peut se faire par d'autres moyens, cette surveillance est généralement acceptée pour des raisons de praticabilité.

Exemple :
Une banque équipe un distributeur d'argent d'une caméra vidéo qui filme, outre le distributeur, de petites portions de trottoir. Cette situation est licite dans la mesure où il existe un intérêt privé prépondérant à la surveillance du distributeur et que cette surveillance est impossible sans qu'une portion de trottoir entre dans le champ de la caméra.

2. Tout particulier qui souhaite surveiller l'espace public à des fins de sécurité doit entrer en contact avec la collectivité publique compétente (commune, police, voire autorités cantonales) et convenir avec celle-ci de mettre en œuvre lui-même les mesures de vidéosurveillance nécessaires. Comme la réglementation des systèmes de vidéosurveillance dans l'espace public relève du domaine de compétence des cantons, il faut au préalable déterminer si une telle convention est licite.

Exemple :

Le propriétaire de maison mentionné plus haut conclut avec la police une convention qui lui permet de surveiller lui-même, au moyen d'une caméra, la portion de rue située devant sa maison.

Lorsqu'un particulier fait de la vidéosurveillance avec l'autorisation de la collectivité publique compétente, la loi sur la protection des données (LPD) reste applicable, de sorte que la vidéosurveillance doit respecter les principes relatifs au traitement de données (voir aide-mémoire «Vidéosurveillance effectuée par des particuliers»). Le PFPDT reste compétent pour la surveillance de l'exécution de la LPD.

À relever encore les points/éléments suivants :

  1. Si une autorité dont dépend le domaine public en cause ne peut pas rendre une décision autorisant un privé à le filmer, faute de base légale, elle détient en revanche les mêmes droits que les particuliers pour s’opposer à une vidéosurveillance illicite (voir rubrique « conseils aux personnes affectées »).

  2. Le Tribunal fédéral a jugé que la seule présence d’une caméra est une atteinte à la personnalité (Arrêt du Tribunal fédéral du 13 octobre 2010 1C_315/2009, consid. 2.2). Par conséquent, si les administrés se sentent « observés » sur la voie publique par un privé, ils peuvent faire valoir leurs droits en matière de vidéosurveillance, quand bien même les images sont floutées ou que la caméra est factice.

  3. Ce même Tribunal a jugé à plusieurs reprises que les images prises illicitement ne sont recevables comme preuves qu’à certaines conditions (voir notamment, arrêts du Tribunal fédéral du 21 décembre 2020 6B_1288/2019, consid. 2.6, et réf. cit. et du 13 novembre 2020 6B_1282/2019, consid. 7). Il faut notamment que l’infraction soit qualifiée de grave. Un vol par infraction ne l’est pas. En revanche, un brigandage violent peut l’être. Autrement dit, si la récolte des images n'est pas parfaitement conforme aux règles, elle pourra être remise en cause par un prévenu dans le cadre d'une poursuite pénale. Dans plusieurs cas, l’acquittement pur et simple a été prononcé.

En conclusion, le respect des conditions de la vidéosurveillance du domaine public par un privé sera formellement examiné si l’autorité concernée, ou des particuliers, font valoir leurs droits, ou lorsque les images seront utilisées pour accuser un délinquant présumé. Autrement dit, la vidéosurveillance qui n’est pas parfaitement conforme pourra être remise en cause à tout moment et se voir imposer des modifications, voire la suppression.

Commentaire à ce propos de Sébastien Fanti, avocat spécialisé en droit des technologies avancées, publié dans ArcInfo le 19 novembre 2020 :

Jean-Marcel est littéralement passionné de nouvelles technologies. Il a décidé de doter sa maison familiale des derniers outils disponibles, avec comme ambition de devenir le premier citoyen de sa commune à pouvoir littéralement « télécommander sa vie ». Le hic, et il est de taille, c’est que son voisin direct Agron est un élu qui n’apprécie guère les dômes qui fleurissent sur les façades, lesquels augurent selon lui une surveillance digne de « 1984 ».

Lors de la séance du Conseil communal, Agron, hors de lui, relate à ses collègues le véritable calvaire qu’il vit au quotidien. Il exige immédiatement une décision de retrait de la caméra litigieuse. Le Conseil, désireux d’éviter de faire prospérer le tempérament irascible de cet élu, acquiesce.

C’est ainsi que Jean-Marcel reçoit une lettre incendiaire au terme de laquelle un délai de 24 heures lui est imparti pour démonter toutes les caméras qui filment le domaine public. Seules celles qui sont destinées à filmer sa propriété seront tolérées et un contrôle par la police est d’ores et déjà prévu. Or, Jean-Marcel n’a guère l’habitude de s’en laisser conter. Il fait appel à son vieux camarade de régiment, aussi féru que lui de gadgets en tous genres. Celui-ci a lu à Lausanne le compte rendu d’une décision de justice (arrêt de la CDAP du 19 novembre 2019 AC.2018.0374) qui pourrait être d’un grand secours pour Jean-Marcel.

Voici en substance son contenu : la vidéosurveillance du domaine public par des particuliers est soumise à la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD). Cette dernière n’attribue toutefois pas aux cantons et aux communes la compétence de statuer sur la conformité d’un système de vidéosurveillance au regard de ladite législation. Quant à la loi cantonale, elle n’est pas applicable au traitement de données personnelles effectué par des particuliers. En l’absence de disposition cantonale ou communale traitant de la vidéosurveillance du domaine public par des particuliers, une décision d’ordonner le retrait d’une caméra installée par des privés doit être frappée de nullité. L’issue serait identique dans un canton qui ne dispose pas d’une base légale idoine, à l’instar des communes.

Est-il dès lors impossible d’obtenir un retrait d’une telle caméra? En se fondant sur les dispositions de la LPD et sur les dispositions du Code civil, la collectivité publique pourra tenter d’obtenir gain de cause. La solution la plus simple consisterait toutefois à adopter une norme cantonale autorisant formellement le retrait de telles caméras, qui tendent de surcroît à se multiplier.

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