Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Liste des enseignants qui n'ont plus le droit d'enseigner

Protection des données

Le DECS peut-il transmettre la liste des enseignants qui n'ont plus le droit d'enseigner à la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique ?

Avis du préposé du 16 mars 2004

Préambule

Le secrétaire général du DECS demande si, au regard de la loi cantonale sur la protection de la personnalité, le Département peut fournir à la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (ci-après CDIP) la liste des enseignants qui ne sont plus autorisés à enseigner dans notre canton.

Le but de la transmission de cette liste est de créer une centrale de données, gérée par la CDIP, contenant les noms des enseignants à qui le droit d'enseigner a été retiré par un canton, afin de permettre aux autres autorités, dans le cadre d'une procédure d'engagement, d'être avisées des retraits du droit d'enseigner et de ne pas engager les enseignants frappés d'une telle mesure.

A titre liminaire, je  signale que le Bureau de l'association des Commissaires suisses à la protection des données DSB+CPD.CH a rendu un avis, le 18 février 2004, quant à la légalité de la base de données gérée par la CDIP concernant les enseignants faisant l'objet d'un retrait du droit d'enseigner. 

En résumé, selon le Bureau de cette association, la procédure choisie conduit à la constitution d'une "liste noire" qui contrevient aux droits fondamentaux des personnes concernées, les principes de légalité, de proportionnalité et d'égalité de traitement n'étant pas respectés (page 2). Je reprendrai ci-dessous cet avis, en détaillant mon opinion personnelle.

Je relève de surcroît qu'il faut distinguer le cas du renvoi d'un enseignant de la destitution de son droit d'enseigner. Cette dernière mesure qui, dans le canton de Neuchâtel, repose sur l'art. 49 de la loi sur le statut de la fonction publique, peut être prononcée par le Conseil d'État en sus du licenciement de l'enseignant, lorsque la situation l'exige, par exemple pour protéger les élèves. Cette disposition n'a que très rarement été mise en œuvre.

Avis

Proportionnalité

Selon ce principe, les données ne doivent être traitées que dans la mesure de ce qui est nécessaire, en ménageant le plus possible la personnalité et les droits fondamentaux des personnes concernées.

Le Bureau de DSB+CPD.CH indique tout d'abord que le respect de ce principe par la mise en œuvre du fichier et la manière de traiter les données lui paraît très discutable, et il se demande s'il n'existe pas d'autres moyens plus conformes à la protection des données et à la protection de la personnalité; il rappelle le devoir de diligence de l'autorité d'engagement (p. 2).

Je relève quant à moi que le droit d'enseigner n'est pas attesté dans un document écrit, à l'instar d'une licence universitaire ou d'un permis de conduire. Les autorités d'engagement ne peuvent donc pas exiger de l'enseignant qui postule de lui présenter son autorisation d'enseigner. De surcroît, l'enseignant a la possibilité d'arranger son curriculum vitae, par exemple en omettant de mentionner son emploi dans le canton qui lui a retiré son autorisation d'enseigner, afin d'échapper à un contrôle. La création de la base de données de la CDIP permet d'éviter de tels problèmes; cette mesure est donc adéquate.

Je relève ensuite qu'il ne s'agit pas de ficher les enseignants dès qu'ils sont renvoyés, quels que soient les motifs de leur licenciement, ou les enseignants avec qui les contacts n'ont pas été bons et dont une direction d'établissement déconseillerait l'engagement dans une autre commune ou un autre canton; il s'agit uniquement de créer une base de données concernant les enseignants qui ont fait l'objet, par décision formelle, d'un retrait du droit de pratiquer, ce qui n'est possible que dans les cas les plus graves.

Cette base de données ne correspond donc pas à une "liste noire" d'enseignants mal notés par leurs employeurs, mais uniquement à une liste d'enseignants qui ont été reconnus comme inaptes à enseigner par les autorités compétentes en la matière. Au surplus, les noms des enseignants figurant sur cette liste ne sont pas destinés à être transmis largement, voire à être livrés en pâture au public; des renseignements ne seront fournis que dans le cas concret d'une procédure d'engagement et sur demande des autorités. Finalement, les motifs du retrait de droit d'enseigner ne sont pas traités par la CDIP et ne pourront dès lors pas être communiqués.

Ainsi, le pire qui puisse arriver à un enseignant figurant dans cette liste est de voir sa postulation refusée. Or, son droit d'enseigner lui ayant été retiré, il n'y a pas d'atteinte importante à sa personnalité s'il n'est pas engagé pour enseigner. En tous les cas, il sera possible à l'enseignant d'expliquer à l'autorité d'engagement les motifs pour lesquels son droit d'enseigner lui a été retiré et les raisons pour lesquelles l'autorité d'engagement pourrait ne pas en tenir compte et donner néanmoins suite à sa postulation. La base de données de la CDIP ne va donc pas au-delà de ce qui est nécessaire et ménage le plus possible la personnalité et les droits fondamentaux des personnes concernées.

Je relève finalement qu'il est possible pour les autorités compétentes d'être avisées sans aucun problème, par exemple lors d'un banal contrôle routier, si un conducteur est sous le coup d'un retrait de son permis de conduire; de même, la loi fédérale sur la libre circulation des avocats prévoit en son article 18 que si l'autorisation de pratiquer est retirée à un avocat, elle est communiquée aux autorités de surveillance des autres cantons. Dans ces cas, la proportionnalité n'est pas contestée. Or, la base de données de la CDIP permet de déterminer si la personne que l'on entend engager a ou non le droit d'enseigner afin de protéger les élèves contre un enseignant inapte, voire dangereux. Il n'apparaît pas que cette base de données vise un but moins important que ceux poursuivis dans les situations décrites plus haut. Or, l'atteinte aux droits des enseignants concernés n'est pas excessive, comme cela a été relevé ci-dessus. La base de données de la CDIP respecte donc, à mes yeux, le principe de la proportionnalité.

Le Bureau de DSB+CPD.CH ajoute que "de toute façon, l'enregistrement dans le fichier n'intervient que lorsque le jugement a force de chose jugée et que la condamnation figure au casier judiciaire" (p. 2).

Il me semble qu'il y a ici confusion de la part du Bureau de DSB+CPD.CH. En effet, la condamnation pénale de l'enseignant doit être distinguée de la décision lui retirant son droit d'enseigner; la première est prononcée par les tribunaux pénaux et la seconde est du ressort des autorités administratives compétentes selon le droit de chaque canton. Si, en général, une condamnation pénale précédera un retrait du droit d'enseigner, on peut aussi imaginer qu'il y ait décision destituant du droit d'enseigner sans que la personne n'ait préalablement été condamnée pénalement, par exemple si les motifs ayant justifié le retrait du droit d'enseigner ne constituent pas une infraction pénale, ou s'il y a eu prescription, voire retrait de plainte dans le cadre de la procédure pénale. Il n'y a donc pas lieu d'attendre une éventuelle inscription au casier judiciaire d'une condamnation pour figurer dans la base de données de la CDIP, mais il faut uniquement qu'une décision de destitution du droit d'enseigner soit prononcée.

Égalité de traitement

Pour qu'il y ait inégalité de traitement, il faut que deux situations similaires soient traitées différemment.

Le Bureau de DSB+CPD.CH indique que l'égalité de traitement n'est pas respectée pour toutes les catégories de personnes. En effet, seules les personnes faisant l’objet d’un retrait du droit d’enseigner seront enregistrées, ce qui suppose la dissolution d’un contrat de travail. Le Bureau demande ainsi comment procéder pour des candidats auxquels le droit d’enseigner n’a pas été retiré parce qu’ils n’ont pas encore enseigné ou parce qu’ils postulent de l’étranger et qu’ils n’ont logiquement pas pu faire l’objet d’une mesure de retrait, alors qu’ils ont – au préalable – été condamné sur un plan pénal pour un comportement de type particulier (page 2) ?

Le Bureau préconise donc que, par souci d'égalité de traitement, toutes les personnes concernées soient enregistrées dans le fichier et non seulement les personnes à qui l'on a retiré le droit d'enseigner. Il faudrait dès lors aussi saisir les personnes qui n'étaient pas encore engagées en Suisse, qui étaient engagées à l'étranger ou qui avaient d'autres fonctions d'encadrement et qui remplissent les conditions du fichier (page 3).

Il me semble que cette considération du Bureau de DSB+CPD.CH est due à la confusion que j'ai relevée plus haut (1.c), à savoir la confusion entre la condamnation pénale de l'enseignant et la décision lui retirant son droit d'enseigner. Or, la base de données de la CDIP concerne uniquement les enseignants dont le droit d'enseigner a été retiré et non ceux qui ont été condamnés pénalement. Certes, la plupart des enseignants à qui le droit d'enseigner a été retiré auront aussi été condamnés pénalement, mais il peut y avoir des situations de condamnations pénales sans retrait du droit d'enseigner et des situations de retrait du droit d'enseigner sans condamnation pénale (voir ci-dessus). Il n'y a dès lors pas inégalité de traitement en ne fichant que les enseignants sous le coup d'un retrait du droit d'enseigner et non toutes les autres personnes qui ont été condamnées pénalement pour un comportement de type particulier; en effet, ces deux situations n'étant pas similaires, elles peuvent être traitées différemment. La base de données de la CDIP respecte donc, à mes yeux, le principe de l'égalité de traitement.

Selon le Bureau de DSB+CPD.CH, il faudrait aussi saisir les personnes qui n'étaient pas encore engagées en Suisse, qui étaient engagées à l'étranger ou qui avaient d'autres fonctions d'encadrement, et qui ont été au préalable condamnées sur un plan pénal pour un comportement de type particulier (p. 2 et 3). Il s'agit en fait d'une extension considérable de la base de données de la CDIP, tout d'abord quant à la nature des données, ensuite quant aux limites territoriales du fichier.

- Sur le plan de la nature des données, alors que la base de données de la CDIP ne concerne que les personnes qui ont fait l'objet d'une interdiction d'enseigner, le Bureau de DSB+CPD.CH propose que soient aussi fichées non seulement les personnes qui exercent des fonctions d'encadrement dans les écoles, mais encore celles qui n'ont pas encore enseigné; le fichier deviendrait donc préventif.

 - Sur le plan territorial, alors que la base de données de la CDIP ne concerne que la Suisse, le Bureau de DSB+CPD.CH propose que l'étranger, c'est-à-dire le monde entier, entre dans le champ d'application de la base de données.

Il m'apparaît quant à moi que cette solution conduit, sur le plan de la protection des données, à des problèmes bien plus importants que ceux posés par la base de données de la CDIP.

Tout d'abord, cela nécessiterait de définir les condamnations qui ne permettraient pas d'enseigner, ainsi que la durée de l'empêchement d'enseigner que chaque infraction génèrerait, ce qui n'est pas toujours aisé. Ce problème ne se pose par contre pas pour la base de données gérée par la CDIP car elle ne se rapporte non pas à des infractions pénales, mais à des décisions retirant le droit d'enseigner, lesquelles sont prononcées pour des durées déterminées.

Ensuite, cela nécessiterait de définir les personnes qui pourraient figurer dans une telle base de données dès qu'elles auraient été l'objet d'une condamnation définie comme étant propre à empêcher d'enseigner. Selon le Bureau de DSB+CPD.CH, il faudrait y mettre, outre les personnes qui ont fait l'objet d'une interdiction d'enseigner, les personnes qui n'ont pas encore enseigné. Mais qui sont ces personnes : seulement les étudiants ayant obtenu un diplôme d'une haute école pédagogique, ou déjà les étudiants des facultés des lettres, voire des lycées, puisqu'ils pourraient un jour peut-être enseigner?

Ce problème ne se pose pas pour la base de données gérée par la CDIP car elle ne se rapporte qu'à des personnes qui ont eu le droit d'enseigner et à qui il a été retiré. Il convient également de relever que la base de données de la CDIP respecte bien mieux le principe de la proportionnalité que la solution préconisée par le Bureau de DSB+CPD.CH, puisqu'elle ne concerne que des personnes à qui le droit d'enseigner a été retiré et ne leur porte de ce fait qu'une atteinte limitée à leur personnalité (voir 1.c ci-dessus), et non des personnes qui pourraient éventuellement être engagées comme enseignants. Enfin, cela nécessiterait d'obtenir des autres États la liste de leurs enseignants qui ont été condamnés préalablement pour un comportement de type particulier, ce qui paraît d'une part peu facile à obtenir de tous les États et conduirait ainsi à une inégalité de traitement selon les pratiques des pays, et ce qui d'autre part semble ne pas être conforme au principe de la proportionnalité, la probabilité d'engager en Suisse un tel enseignant étranger ne paraissant pas suffisamment grande pour justifier de ficher tous les enseignants sanctionnés dans leurs pays d'origine.

Légalité

Selon ce principe, les autorités ne peuvent traiter des données que s'il existe une base légale ou si le traitement sert à l'accomplissement d'une tâche légale.

En ce qui concerne le problème de la base légale du fichier de la CDIP, j'ai pris note de la détermination de la CDIP développée dans son courrier du 24 février dernier au Bureau de DSB+CPD.CH. Ma compétence se limitant aux autorités neuchâteloises, je m'abstiendrai d'intervenir dans cette controverse qui me paraît devoir être réglée par la CDIP elle-même, avec le Préposé fédéral à la protection des données et / ou le Préposé bernois.

Sur le plan neuchâtelois, je suggère qu'un arrêté du Conseil d'État soit pris, fixant le principe d'un transfert de données du canton à la CDIP, déterminant la nature des données à transmettre, arrêtant les modalités de ce transfert et la finalité de ce traitement. Je me tiens volontiers à votre disposition pour vous seconder dans l'élaboration d'un projet d'arrêté.

En résumé, je suis d'avis que le canton de Neuchâtel peut fournir à la CDIP la liste des enseignants qui ont été l'objet d'une décision les destituant de leur droit d'enseigner, prise sur la base de l'art. 49 de la loi sur le statut de la fonction publique, moyennant d'une part un arrêté du Conseil d'État, d'autre part le règlement du problème de la base légale du fichier de la CDIP.

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