Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Renseignements pouvant être transmis par les autorités de poursuites pénales à un service de l'État

Protection des données

Quels renseignements peuvent transmettre les autorités de poursuites pénales aux services de l'Etat, renseignements appris fortuitement sur un employé de l'administration ?

Avis du préposé du 26 avril 2004

Préambule

Par courrier du 14 mai 2003, le juge d'instruction II de Neuchâtel a indiqué que lors d'une rencontre réunissant le Ministère public, la police cantonale et les juges d'instruction, la question s'est posée de savoir si, et à quelles conditions, des renseignements appris lors d'une enquête peuvent être transmis à un service de l'Etat. Concrètement, il est apparu lors d'une procédure qu'une enseignante était toxicomane; la police ou d'autres organes d'enquête peuvent-ils transmettre cette information au Département de l'instruction publique? On peut également imaginer le cas d'un enseignant dont une enquête montrerait des tendances pédophiles, ou bien d'autres exemples encore.

Avis

L'article 95 al. 1 CPPN prévoit que la police judiciaire est tenue de garder le secret sur toutes les opérations auxquelles elle procède et sur les faits qui sont parvenus à sa connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Le secret de l'instruction s'applique aussi au juge d'instruction (voir Bauer et Cornu, Code de procédure pénale neuchâtelois annoté, page 177, n° 4); l'article 31a de la loi d'organisation judiciaire stipule d'ailleurs que les magistrats sont tenus de garder secrets les faits qui doivent le rester en raison de leur nature et dont ils ont eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

Dans son ordonnance de classement en l'affaire MP.2002.4113-NEU, le Procureur général suppléant extraordinaire relevait toutefois au sujet de ces dispositions (p. 11):

Le secret de fonction n'est pas une fin en soi; il apparaît comme un moyen de protéger des intérêts. Or, les intérêts dignes de protection en cause peuvent être divergents. En ce cas, il appartient à l'autorité (législative, exécutive ou judiciaire), de rechercher une solution permettant de concilier ces intérêts dans la mesure du possible.

Parmi ces intérêts, le secret de l'information pénale est certes important, voire très important.

Toutefois, d'autres intérêts officiels sont aussi importants. (…) pour accomplir quantité de ses tâches, l'administration a besoin de nombreuses informations qui résultent de procédures judiciaires, voire de procédures préalables menées par la police judiciaire. Par ailleurs, si l'administration peut avoir accès, par les voies administratives ordinaires, à des informations provenant de la police proprement dite (soit en dehors de son activité de police judiciaire), il ne serait guère concevable que tout accès, quel qu'il soit, lui soit refusé aux informations liées à des procédures judiciaires.

L'Autorité de surveillance fait sien ce considérant.

Les articles 95 al. 1 CPPN et 31a de la loi d'organisation judiciaire ne sont donc pas absolus.

La communication par les autorités de poursuites pénales de renseignements appris sur un employé de l'Etat lors d'une enquête à l'autorité dont il relève est dans tous les cas possible lorsqu'elle repose sur une base légale. C'est ce que rappelle, pour les activités de la police, l'article 23 al. 3 LCPP qui stipule que les données collectées par les organes de police ne peuvent être communiquées qu'aux seules autorités prévues par une loi ou par un règlement d'utilisation des données de police judiciaire.

L'article 37 OJN constitue une telle base légale. Cette disposition prévoit: le Tribunal cantonal est avisé sans délai de l'action pénale intentée, en raison d'un crime ou d'un délit, contre un magistrat ou un fonctionnaire judiciaire; la décision qui statue sur le sort de la cause lui est immédiatement communiquée.

Cette base légale ne se rapporte toutefois pas à l'action pénale intentée en raison d'une contravention commise par le magistrat ou le fonctionnaire judiciaire, ni aux informations collectées à son sujet dans le cadre d'une enquête ouverte contre un tiers.

En ce qui concerne les autres fonctionnaires relevant de la loi sur le statut de la fonction publique, l'article 35 de cette loi prévoit que si un titulaire de fonction publique est poursuivi pénalement en raison d'un crime ou d'un délit intentionnel, il en avise immédiatement l'autorité dont il dépend (al. 1); la décision qui statue sur la cause est transmise sans délai à cette autorité (al. 2).

Là encore, cette base légale ne se rapporte pas à l'action pénale intentée en raison d'une contravention, de même qu'en raison d'un crime ou d'un délit non intentionnel commis par le fonctionnaire, ni aux informations collectées à son sujet dans le cadre d'une enquête ouverte contre un tiers. De plus, il ressort de cette disposition qu'il incombe prioritairement au fonctionnaire d'aviser l'autorité dont il dépend de la poursuite pénale dont il fait l'objet, et non aux autorités de poursuites pénales elles-mêmes.

Comme cela est relevé ci-dessus, le secret de l'information pénale n'est pas absolu. Dès lors, même en l'absence d'une base légale expresse, une communication de renseignements est envisageable si certaines conditions particulières sont données.

Tout d'abord, les renseignements ne peuvent être donnés à un service de l'Etat que dans la mesure où l'exige l'accomplissement des tâches légales de ce service (voir l'art. 11 LCPP).

De plus, la communication n'est possible que lorsqu'elle est exigée par la sauvegarde d'un intérêt digne de protection l'emportant sur le secret de l'information pénale; il convient dès lors de procéder à une pesée des intérêts en présence.

Finalement, la communication doit respecter le principe de la proportionnalité: seuls peuvent être communiqués les renseignements dont le service de l'Etat a absolument besoin pour accomplir ses tâches, et pas davantage. Les autorités de poursuites pénales ne pourront donc en principe pas transmettre sans autre l'intégralité du dossier mais elles devront distinguer ce qui est nécessaire au destinataire de ce qui ne l'est pas.

Ainsi, dans le cas d'un enseignant dont une enquête pénale révèlerait des problèmes, une communication de renseignements au Département de l'instruction publique peut être justifiée, notamment s'il y a mise en danger des élèves qui lui sont confiés. En effet, protéger les enfants d'un instituteur pédophile ou toxicomane correspond assurément à un intérêt public l'emportant sur le secret de l'information pénale; ce ne sera par contre pas le cas s'il y a uniquement consommations occasionnelles de drogues douces sans toxicodépendance, ou si l'enseignant a commis une infraction sans présenter de risques particuliers pour les personnes dont il a la charge. De plus, assurer la protection des élèves fait partie des tâches légales qui incombent au Département de l'instruction publique.

Les agents de la police cantonale relèvent du magistrat désigné par le code de procédure pénale dans l'exercice de leurs tâches de police judiciaire (art. 4 al. 2 de la loi sur la police cantonale). En ces conditions, la communication de renseignements paraît devoir être faite sous la responsabilité du magistrat saisi de la cause (voir aussi l'article 95 al. 3 CPPN).

Lorsqu'aucun magistrat n'est saisi de la cause, la communication paraît devoir être faite selon les modalités de l'article 65 du règlement d'exécution de la loi sur la police cantonale, lequel stipule : les fonctionnaires de police ne peuvent communiquer des renseignements ou des documents de service à un autre département de l'administration cantonale ou à des tiers justifiant d'un intérêt légitime que moyennant l'autorisation du commandant de la police cantonale.

Conclusions

L'autorité de surveillance LCPP prend ainsi les conclusions suivantes :

Lorsqu'une base légale expresse le prévoit ou lorsqu'un intérêt prépondérant l'exige, des renseignements appris lors d'une enquête sur un employé de l'Etat peuvent être transmis par les autorités de poursuites pénales à l'autorité dont il dépend.

Lorsqu'un magistrat est saisi de la cause, la communication doit être faite sous la responsabilité de ce magistrat. Lorsqu'aucun magistrat n'est saisi de la cause, la communication doit être faite moyennant l'autorisation du commandant de la police cantonale.

Ce site utilise plusieurs cookies pour indiquer temporairement aux serveurs la langue que vous avez choisie lors de la configuration de vos outils informatiques, ainsi que pour rappeler aux serveurs votre choix d'accepter les présentes conditions pour éviter de reposer la question à la prochaine visite. En poursuivant, vous acceptez l’utilisation de ces cookies aux fins énoncées ci-dessus. En savoir plus.