Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Détenteurs de véhicules à moteur

Protection des données

Liste des détenteurs de véhicules à moteur publiée par la République et Canton de Neuchâtel

Avis du 19 février 1999

Préambule

Par courrier du 19 janvier 1999, un usager s'est adressé à Mme la Conseillère d'Etat, cheffe du Département de la justice, de la santé et de la sécurité, lui demandant d'user de son influence et de ses compétences pour obtenir des autorités intéressées de ne plus figurer dans la liste des détenteurs de véhicules à moteur publiée par la République et Canton de Neuchâtel.

Il écrivait ainsi :

"Mon interrogation est la suivante : il me semble, comme citoyen Suisse, avoir la possibilité légale et garantie par la constitution, conformément à la loi (fédérale) sur la protection des données, de pouvoir rendre à tout public, l'accès limité voire interdit de données me concernant, notamment (symbolisé en l'occurrence par le Registre neuchâtelois) et par ailleurs d'accès facile, aisément disponible et pouvant être librement consulté par n'importe qui dans le pays… comme à l'étranger (!). De plus, il paraît évident et normal à tout résident que la loi fédérale prime sur toute législation cantonale (éventuelle) en la matière".

Par courrier du 29 janvier 1999, Mme la Conseillère d'Etat, cheffe du Département de la justice, de la santé et de la sécurité demandait à l'Autorité de surveillance LCPP de lui faire parvenir son expertise, s'agissant de la question relevant de la protection de la personnalité.

Avis

Le canton de Neuchâtel publie un annuaire des détenteurs de véhicules, intitulé "Liste des détenteurs de véhicules à moteur", pour un parc d'environ 101'000 véhicules et un prix de fr. 24.00 le volume. Tous les numéros de plaques sont publiés avec nom (maison), prénom et adresse du détenteur, à l'exception de certains fonctionnaires (par exemple les membres du corps de police). Selon la pratique actuelle, il est également envisageable pour des particuliers de demander à ne pas figurer sur cette liste s'ils peuvent justifier d'un intérêt pertinent (par exemple un détective privé).

Selon l'article 37, la LPD s'applique au traitement de données personnelles par des organes cantonaux en exécution du droit fédéral, à moins que le traitement ne soit soumis à des dispositions cantonales de protection des données.

Le canton de Neuchâtel dispose de sa propre loi cantonale sur la protection de la personnalité (ci –après LCPP; RSN 150.30). Cette loi ne règle pas aussi précisément que la loi fédérale la communication des données et le droit d'opposition de la personne concernée. Elle stipule néanmoins que la communication des données est limitée aux seuls utilisateurs prévus dans la déclaration, que ceux-ci ne peuvent utiliser ces données que dans l'accomplissement de leur tâche (art. 11 al. 1), et que sauf autorisation du Conseil d'Etat, la remise de listes occasionnelles ou répétitives de données est interdite, de même que la commercialisation de renseignements (art. 13 al. 1). Le règlement d'exécution de la loi cantonale sur la protection de la personnalité (ci-après le Règlement; (RSN 150.31) prévoit quant à lui que la transmission des données n'est admissible que dans les limites de la loi et selon les termes de la déclaration; elle peut cependant toujours avoir lieu avec l'accord de l'intéressé (art. 22); l'article 24 énumère les conditions de publication de listes répétitives.

Certains auteurs exigent que le droit cantonal corresponde à un standard minimum de protection pour pouvoir évincer la LPD, comme l'article 37 LPD le prévoit. C'est ainsi qu'une partie de la doctrine et le Préposé fédéral à la protection des données sont d'avis que les dispositions cantonales doivent fournir une protection comparable (Vergleichbare Schutzwirkung) à celle de la loi fédérale par rapport au cas concret (Kommentar zum schweizerischen Datenschutzgesetz, Helbin & Lichenhahn, p. 446ss; 1er rapport d'activité du Préposé fédéral à la protection des données 1993/94 p. 141 ss).

  •  Que l'on prenne en compte le droit fédéral ou le droit cantonal applicable en la matière, la communication de données personnelles nécessite en tous les cas une base légale.L'article 104 ch. 5 LCR (RS 741.01) prévoit que si le requérant peut invoquer un intérêt suffisant, les cantons communiqueront le nom des détenteurs de véhicules et de leurs assureurs; la liste des détenteurs de véhicules peut être publiée. L'article 126 OAC (RS 741.51) stipule que le nom et l'adresse du détenteur d'une plaque de contrôle peuvent être communiqués à chacun (al. 1); le nom du détenteur et celui de son assureur seront indiqués aux personnes impliquées dans un accident et, au nouveau détenteur, en cas de changement de détenteur (al. 2), les renseignements tirés du permis de circulation peuvent être communiqués, sur demande écrite et motivée, aux personnes qui font valoir un intérêt suffisant, en vue d'une procédure (al. 3).

Dès lors, force est de constater qu'il existe une base légale permettant la publication de la liste des détenteurs de véhicules immatriculés dans le canton.

L'article 19 al. 4 LPD stipule que l'organe fédéral refuse la communication, la restreint ou l'assortit de charges, si un important intérêt public ou un intérêt légitime manifeste de la personne concernée l'exige, ou si une obligation légale de garder le secret ou une disposition particulière relevant de la protection des données l'exige. Selon l'article 20 LPD, la personne concernée qui rend vraisemblable un intérêt légitime peut s'opposer à ce que l'organe fédéral responsable communique des données personnelles déterminées.

Comme cela a été mentionné ci-dessus (voir I.C.), le droit cantonal neuchâtelois n'est pas aussi détaillé que le droit fédéral à ce sujet et le droit fédéral formerait un standard minimum que le droit cantonal devrait respecter.

En ces conditions, l'Autorité de surveillance est d'avis que si la personne concernée rend vraisemblable un intérêt légitime, elle devrait pouvoir s0opposer à ce que son nom soit publié dans la liste des détenteurs de véhicules à moteur. D'ailleurs, selon la pratique actuelle, un tel droit d'opposition existe pour des membres de la collectivité publique (par exemple des policiers) tout comme pour certains particuliers qui font valoir un intérêt justifié (par exemple des détectives privés). L'Autorité de surveillance fait ici sien l'avis de la Déléguée fribourgeoise à la protection des données du 30 juin 1995, laquelle écrivait à ce sujet au Tribunal administratif de son canton (p. 8, n° 13.2) :

" Quant à la publication par l'Auto-Index, l'intérêt du particulier à pouvoir bloquer ses données personnelles doit être mis en rapport avec le danger que l'Auto-index présente pour ses droits. Le risque est beaucoup moins grand parce que cette publication est un moyen de consultation relativement compliqué, nécessitant un investissement, une attention préalable généralement trop lourds pour satisfaire la curiosité du moment. L'Auto-index est utile surtout à des professionnels, tels que des garagistes, des assureurs. Il y a une limitation naturelle à la consultation.

" Dans ces conditions, la pratique du canton de Fribourg, selon laquelle le particulier doit démontrer un intérêt particulier, peut être maintenue sous l'égide de la LPrD, en tout cas aussi longtemps que l'Auto-index jouit d'une diffusion relativement restreinte et que des abus n'ont pas pu être constatés. Une certaine générosité dans l'appréciation des motifs invoqués s'impose".

En l'espèce, l'Autorité de surveillance est donc d'avis que si l'usager dispose effectivement d'un droit d'opposition à la communication de données le concernant, cette opposition peut être rejetée dans la mesure où il ne rend pas vraisemblable un intérêt légitime. Celui-ci se borne en effet à invoquer "comme citoyen suisse" la "possibilité légale et garantie par la constitution… de pouvoir rendre à tout public, l'accès limité voire interdit de données", sans justifier véritablement d'un intérêt particulier qui s'opposerait à une telle publication

Afin de compléter le présent avis, un bref aperçu de différents cas et de diverses solutions se rapportant à la publication de la liste des détenteurs de véhicules à moteur, peut être utile.

Au niveau cantonal, un recours a été déposé dans le canton de Fribourg, en 1995, à l'encontre de la décision de la Direction de la justice, de la police et des affaires militaires rejetant la demande de blocage d'un particulier des renseignements concernant les plaques de contrôle de son véhicule. La Déléguée à la protection des données a rendu un avis qui est repris ci-dessus (voir III.b). A ce jour, le recours est toujours pendant devant le Tribunal administratif.

Certains cantons ont purement et simplement interdit la communication de données à caractère personnel destinée à l'établissement de listes, d'annuaires d'adresses et d'ouvrages similaires. Ainsi, dans le canton du Jura, l'administration a l'interdiction de publier ou de communiquer la liste des détenteurs de véhicules (voir Moritz, Aperçu de la loi jurassienne sur la protection des données à caractère personnel, p. 122, in RJJ 2/95). Or, tel n'est pas le cas dans le canton de Neuchâtel où, par exemple la remise de listes répétitives de données peut être autorisée (art. 13 LCPP et 24 du Règlement).

D'autres cantons ont adopté des lois qui ont imposé à leurs services de ne plus publier, dans leur liste des détenteurs de véhicules à moteur, le nom des personnes qui le demandaient. C'est ainsi que le canton de Zürich octroye, dans sa loi sur la protection des données, un droit d'opposition de la personne concernée sans avoir à justifier d'un intérêt (voir le rapport d'activité du Préposé à la protection des données du canton de Zürich, 1994, no 1, p. 11-12). Or, ni le droit neuchâtelois, ni le droit fédéral ne prévoient un droit d0opposition aussi large, un intérêt légitime de la personne concernée étant exigé par la LPD pour permettre une opposition à la communication des données personnelles.

Au niveau fédéral, la Commission fédérale de la protection des données a rendu un arrêt, le 18 mars 1998, selon lequel un CD-ROM contenant des données sur les détenteurs de véhicules à moteur de toute la Suisse (à l'exception du canton du Jura) enfreignait les dispositions de la loi sur la protection des données et de la législation sur la circulation routière. Dans l'un des considérants (cons. VI.1), la commission fédérale relevait: "Im Gesetz selbst finden sich keine Grundlage für die Bekanntgabe auch der Adressen der Fahrzeughalter. Die Verordnung geht somit insoweit über den Gesetzestext hinaus. Damit erscheint zumindest als fraglich, ob nicht schon des Indes in Buchform teilweise gesetzwidrig ist". Or, à l'exception de la communication de l'adresse, la Commission fédérale ne semble pas avoir contesté la publication de telles listes. Il convient au surplus de relever que l'article 104 al. 5 LCR se rapporte à la publication de l'adresse, outre de celle du nom du détenteur, comme l'article 126 OAC le permet.

Finalement, une initiative parlementaire Ruf, du 3 février 1994 au Conseil national, a demandé de biffer l'article 104 al. 5, deuxième phrase LCR. De même, le Préposé fédéral à la protection des données a demandé que le registre des détenteurs de véhicules ne soit plus public; cela devrait notamment empêcher que des informations relatives aux détenteurs de véhicules parviennent dans des canaux d'information public et, selon lui, cette suppression se justifie d'autant plus que dans le projet de LCR, les autorités qui ont besoin de données sur les véhicules à moteur et leurs détenteurs auront désormais un accès en ligne à ces données (voir les rapports d'activité 1995/1996, p. 142 et 1997/1998, p. 150). Il semble toutefois que la consultation des cantons à ce sujet ait mis en évidence une forte opposition à l'encontre de cette suppression dont on ne sait dès lors si le législateur fédéral l'ordonnera. En tous les cas, la base légale d'une telle publication est toujours donnée aujourd'hui.

Comme cela a été mentionné ci-dessus, la Commission fédérale de la protection des données s'est penchée sur le cas d'un CD-ROM contenant des données relatives aux détenteurs de véhicules à moteur de toute la Suisse. Il a été retenu qu'un tel CD-ROM enfreignait la LPD, les maîtres du fichier étant les autorités cantonales, le CD-ROM permettant de prendre connaissance de plus de données que ce que la LCR ne le prévoit, et les principes de la proportionnalité, de la finalité et de l'exactitude des données n'étant pas respectés. Or, de telles critiques ne peuvent pas être portées à l'encontre de la publication de la République et Canton de Neuchâtel en sa forme actuelle qui respecte tous ces principes (sous réserve de l'éventuel problème de la communication de l'adresse du détenteur; voir ci-dessus IV.b.2) En dernier lieu, il convient de relever que suite à un accord entre l'association des services des automobiles et les PETT Telecom, auquel certains cantons avaient adhéré, les données relatives aux détenteurs de véhicules à moteur étaient vendues aux PTT qui les rendaient accessibles 24 heures sur 24 par le biais du service de renseignements téléphoniques, numéro 111, et du vidéotex. Dans certains cantons, il avait été conseillé que, en cas d'opposition à la publication de données, les PTT devaient immédiatement effectuer le blocage provisoire des données personnelles jusqu'à droit connu sur l'opposition; il avait été de plus proposé d'informer le détenteur lors des formalités d'immatriculation de son droit de s'opposer à la publication de ses données personnelles et à la communication aux PTT (voir RFJ 1994/3, p. 280-281). Mais force est de constater que la communication de la liste des détenteurs de véhicules à moteur au moyen d'un annuaire est un moyen de diffusion bien moins facile pour l'utilisateur que par le biais du numéro 111 ou du vidéotex. Si ces deux dernières procédures de diffusion, plus commodes, rapides, efficaces et immédiatement accessibles, justifient que l'on puisse se montrer moins sévère dans l'appréciation de l'intérêt légitime de la personne qui s'oppose à la communication de données la concernant, tel n'est pas le cas de l'"annuaire" dont l'accès est moins facile.

Ce tour d'horizon vient confirmer l'avis de l'Autorité de surveillance neuchâteloise; en tous les cas, il ne l'infirme pas.

Conclusion

Au vu de ce qui précède, l'Autorité de surveillance LCPP est d'avis que :

En général

La personne concernée qui rend vraisemblable un intérêt légitime peut s'opposer à la publication de données la concernant dans la liste des détenteurs de véhicules à moteur.

Dans le cas d'espèce

L'usager ne rend pas vraisemblable un tel intérêt légitime dans sa lettre du 19 janvier 1999.

 

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