Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Echange d'informations entre la police et l'administration fiscale

Protection des données

Echange d'informations entre les services de police et l'administration fiscale de la République et Canton de Neuchâtel

Avis du préposé du 18 mars 1999

Préambule

Par courrier du 4 février 1999, l'adjoint au commandant de la Police cantonale relevait que dans la perspective de la mise sur pied d'un tribunal pénal économique et du renforcement des structures de la brigade financière, une collaboration a été étudiée notamment entre les services de police et l'administration fiscale.

Sur le principe, ils sont tombés d'accord que dans l'intérêt de l'État, ils devraient à l'avenir procéder à un échange accru d'informations, car bien souvent une enquête pénale en matière financière débouche sur un redressement fiscal et inversement. À ce jour, l'administration fiscale le transmet à la police l'année imposable d'un justiciable, le genre de taxation, le revenu imposable, la  fortune effective, la fortune imposable et l'état du paiement des contributions publiques. A l'avenir, la brigade financière souhaiterait pouvoir disposer de données complémentaires, soit l'adresse du contribuable, son employeur, les détails du revenu et de la fortune, de même qu'un échantillon d'écritures et de signatures, le cas échéant alors même qu'un juge d'instruction ne serait pas encore saisi. Toutefois, pour que cette recherche de synergie se fasse dans le respect des dispositions de la législation sur la protection des données et de la personnalité, l'adjoint au commandant de la Police cantonale demandait de l'Autorité de surveillance LCPP son avis quant à l'échange de données tel qu'envisagé.

Dispositions légales

Droit fédéral

L'article 19 de la loi sur la protection des données (ci-après LPD; RS 235.1) stipule que :

  • les organes fédéraux ne sont en droit de communiquer des données personnelles que s'il existe une base juridique au sens de l'article 17 ou si :

  • le destinataire a, en l'espèce, absolument besoin de ces données pour accomplir sa tâche légale;

  • la personne concernée y a, en l'espèce, consenti ou les circonstances permettent de présumer un tel consentement;

  • la personne concernée a rendu ses données accessibles à tout un chacun ou si;

  • le destinataire rend vraisemblable que la personne concernée ne refuse son accord ou ne s'oppose à la communication que dans le but de l'empêcher de se prévaloir de prétentions juridiques ou de faire valoir d'autres intérêts  légitimes; dans la mesure du possible, la personne concernée sera auparavant invitée à se prononcer…

Selon l'article 37, la LPD s'applique au traitement de données personnelles par des organes cantonaux en exécution du droit fédéral, à moins que le traitement ne soit soumis à des dispositions cantonales de protection des données.

Le canton de Neuchâtel dispose de sa propre loi cantonale sur la protection de la personnalité (ci-après LCPP; RSN 150.30; voir plus loin, ch. II). Certains auteurs exigent que le droit cantonal corresponde à un standard minimum de protection pour pouvoir évincer la LPD, comme l'article 37 LPD le prévoit. C'est ainsi qu'une partie de la doctrine et le Préposé fédéral à la protection des données sont d'avis que les dispositions cantonales doivent fournir une protection comparable (Vergleichbare Schutzwirkung) à celle de la loi fédérale par rapport au cas concret (Kommentar zum schweizerischen Datenschutzgesetz, Helbin & Lichenhahn, p. 446ss; 1er rapport d'activité du Préposé fédéral à la protection des données 1993/94, p. 141ss).

Droit cantonal neuchâtelois

Selon l'article 11 LCPP, la communication des données est limitée aux seuls utilisateurs prévus dans la déclaration; ceux-ci ne peuvent utiliser ces données que dans l'accomplissement de leur tâche (al.1). Sur demande écrite adressée à l'exploitant, des données, renseignements ou documents peuvent toutefois être communiqués à l'intérieur des collectivités publiques ou entre elles lorsque cette communication est nécessaire à l'exécution de leur tâche (al. 2). Les dispositions spéciales concernant le secret de fonction et la communication de renseignements selon d'autres lois sont réservées (al. 3).

Dans son rapport au Grand conseil du 5 octobre 1987, le Conseil d'État écrivait au sujet de cet article 11 :

"Les alinéas 2 et 3 ont pour but de dissiper l'ambiguïté engendrée au sein des administrations publiques par l'entrée en vigueur de la loi cantonale sur la protection de la personnalité. D'une part, le fonctionnement de l'administration ne doit pas être entravé et, d'autre part, les données, renseignements ou documents doivent continuer à pouvoir être transmis à l'intérieure des collectivités publiques ou entre elles lorsque cette communication est nécessaire à l'exécution de leur tâche. En outre, les dispositions spéciales concernant le secret de fonction et la communication de renseignements contenus dans d'autres lois doivent être réservées dans le cadre de l'application de la Loi cantonale sur la protection de la personnalité. Ces dispositions particulières sont notamment les suivantes :

Les articles 83, 98 et suivants de la loi sur les contributions directes, du 9 juin 1964, concernant le secret de fonction et l'obligation de tiers (administrations publiques ou personnes privées) de fournir des renseignements à l'autorité de taxation.

C'est dans le cadre que l'alinéa 2 de l'article 11 sera appliqué, donc dans des limites précises. A ce sujet, il est utile de rappeler que les dispositions légales relatives à la protection de la personnalité ne font qu'actualiser, d'une certaine manière, des principes généraux ou des dispositions particulières qui régissent l'activité administrative. Il s'agit ici principalement des principes de la légalité de traitement et la proportionnalité qui, à eux seuls, joints à l'obligation de discrétion imposée des collectivités publiques, suffiraient à atteindre les buts fixés par la loi".

Quant à l'article 22 du règlement d'exécution de la LCPP (ci-après le Règlement; RSN 150.31), il prévoit que la transmission des données n'est admissible que dans les limites de la loi et selon les termes de la déclaration; elle peut toujours avoir lieu avec l'accord de l'intéressé.

Le problème posé par l'adjoint au commandant de la police cantonale, dans son courrier du 4 février 1999, est double : tout d'abord, la police peut-elle obtenir des informations de l'administration fiscale; ensuite, cette dernière est-elle également habilitée à recevoir des renseignements des services de police ? Ces deux problèmes seront traités séparément.

Avis

Communication par l'administration fiscale

L'article 83 de la loi sur les contributions directes (ci-après LCdir; RSN 631.0) prévoit que les membres des autorités et les fonctionnaires et employés des administrations chargées de l'application de ladite loi, ainsi que les experts auxquels il est fait appel le cas échéant, sont tenus de garder le secret sur les faits qui parviennent à leur connaissance dans l'exercice de leurs fonctions et sur les délibérations des autorités (al. 1); ils ne peuvent être déliés de cette obligation que moyennant l'autorisation écrite du Conseil d'État (al. 2), L'article 117 est réservé (al. 4), selon lequel seule la communication de la fortune et du revenu imposables est autorisé (al. 2).

Au vu des éléments mentionnés ci-dessus, il convient de relever :

Tant le droit fédéral que le droit cantonal imposent l'existence d'une base juridique ou d'une base légale pour la communication de données personnelles (voir plus haut, chapitre b). Or aucune base légale n'autorise expressément l'administration fiscale à donner à la police des informations qui excèdent le cercle de l'article 117 LCdir.

Au contraire, l'administration fiscale est tenue à un secret de fonction renforcé (art. 83 LCdir) et il ressort clairement du rapport du Conseil d'État du 5 octobre 1987 que l'article 11 LCPP ne permet pas d'obtenir des informations autres que celles prévues à l'article 117 LCdir.

On ne saurait de plus retenir que la personne concernée consent à la communication de telles informations aux services de police, ni qu'un tel consentement peut être présumé, ni que cette personne a rendu ses données accessibles à tout un chacun, ni qu'elle s'oppose abusivement à une telle communication.

Selon le droit fédéral et neuchâtelois, la communication de données personnelles est cependant admissible dans des cas d'espèce si le destinataire en a absolument besoin pour accomplir sa tâche légale, respectivement si la communication est nécessaire à l'exécution de sa tâche. Une communication à la police de renseignements par l'administration fiscale est ainsi envisageable sur cette base.

Cependant, la portée pratique de ce principe paraît limitée in casu. En effet, si les services de police soupçonnent qu'une infraction a été commise, ils sont à même de saisir rapidement le Procureur général qui est habilité à leur confier une enquête préalable (art. 7a CPPN) ou à mettre en œuvre un juge d'instruction, lequel pourra quant à lui charger la police judiciaire d'une délégation spéciale (art. 99ss CPPN). Dès l'intervention d'un magistrat, l'administration fiscale est autorisée à transmettre des informations sur requête de celui-ci, soit directement à ce magistrat, soit aux services de police mandatés par lui. La police peut ainsi accomplir sa tâche en passant par un magistrat.

Il est néanmoins envisageable qu'une communication de données à la police soit nécessaire pour l'exécution de sa tâche sans qu'il ne lui soit aisément possible d'être mandatée par un magistrat, par exemple dans des cas d'urgence (cf. art. 96 CPPN).

Une telle solution rejoint la volonté du législatif neuchâtelois qui a voulu restreindre les enquêtes "spontanées" de la police, sans passer par un  magistrat, lors de débats qui ont conduit à la modification du CPPN entrée en vigueur le 1er septembre 1998.

Dans la mesure où une communication de données reste encore envisageable (avec les restrictions mentionnées ci-dessus), il peut paraître utile d'adapter la déclaration de traitement de données des fichiers de l'administration fiscale en élargissant le cercle des utilisateurs à la brigade financière de la police cantonale dans les cas d'urgence.

Communication par les services de police

L'article 98 Lcdir stipule que les administrations publiques et les autorités judiciaires du canton et des communes neuchâteloises sont tenues de fournir à l'autorité de taxation, sur demande de celle-ci et sans égard au secret de fonction, tout renseignement tiré des registres officiels ou de toutes autres pièces et qui peut être utile pour la taxation d'un contribuable (al. 1).

Les services de police (qui font partie des administrations publiques et non des autorités judiciaire) peuvent et doivent dès lors donner les renseignements qui lui sont demandés par l'autorité de taxation, cette disposition servant de base légale à la communication de données.

Il convient cependant de relever que selon l'article 95 CPPN, la police judiciaire est tenue de garder le secret sur toutes les opérations auxquelles elle procède et sur les faits qui sont parvenus à sa connaissance dans l'exercice de ses fonctions. De plus, les principes généraux qui régissent l'activité de l'administration, dont la proportionnalité, joints à l'obligation de discrétion imposée aux agents des collectivités publiques, s'appliquent également à la protection des données (rapport du Conseil d'État du 5 octobre 1987, page 6, art. 4 LCPP).

En ces conditions, la communication doit se limiter aux informations strictement nécessaires à la taxation d'un contribuable, les autres éléments de l'enquête ne devant pas être communiqués (voir sujet de la proportionnalité : RFJ 1994 p. 280, n° 4; p. 281, n° 6; 4ème rapport d'activité du Préposé fédéral à la protection des données 1996/97, p. 212, n° 4.4).

Le problème réglé ci-dessus se rapporte aux informations demandées par l'administration fiscale. Mais la police peut-elle spontanément communiquer des renseignements à l'administration fiscale, sans en avoir été requise ?

La base légale manque pour une information spontanée, l'article 98 Lcdir se rapportant à une obligation de renseigner l'administration fiscale à la demande de celle-ci.

Par contre, l'article 6 CPPN impose notamment à tout agent de la police judiciaire, qui acquiert dans l'exercice de ses fonctions la connaissance d'une infraction qui se poursuit d'office, d'en donner sur-le-champ avis au ministère public.

Ainsi, si la police découvre une infraction dans le domaine fiscale, elle doit avertir le ministère public qui pourra la charger d'une enquête. Dans le cadre de cette enquête, elle aura à s'approcher de l'administration fiscale qui sera de la sorte avisée de l'infraction et qui pourra réclamer à la police tout renseignement nécessaire à la taxation du contribuable.

Conclusions

Au vu de ce qui précède, l'Autorité de surveillance LCCP :

est d'avis que les services de police sont habilités à demander à l'administration fiscale la communication de données personnelles lorsque, dans le cas d'espèce :

  • la police en a absolument besoin pour accomplir sa tâche légale;

  • et qu'il y a urgence, l'empêchant de saisir préalablement un magistrat.

  • est d'avis que l'administration fiscale est habilitée à demander aux services de police la communication de données personnelles lorsque, dans le cas de l'espèce :

    • celles-ci sont utiles pour la taxation d'un contribuable.

  • préconise d'adapter la déclaration de traitement de données relative aux fichiers de l'administration fiscale en élargissant le cercle des utilisateurs à la brigade financière de la police cantonale dans les cas d'urgence, selon le chiffre 1 ci-dessus.

  • rappelle qu'en application de l'article 11 al. 2 LCPP, la communication de données se fait sur demande écrite adressée à l'exploitant.

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