Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Expertises judiciaires dont la production est demandée par l'Office de l'AI

Protection des données

Un tribunal peut-il remettre des expertises à l'office AI ?

Avis du préposé du 14 février 2002

Le 12 novembre 2001, l'Autorité de surveillance LCPP a été saisie afin d'examiner la légalité du passage d'expertises entre les tribunaux et l'Office de l'Assurance invalidité. On lui signalait que l'Office de l'AI s'était procuré dans de nombreux cas des expertises destinées à la justice se rapportant à des personnes qui avaient déposé des demandes de rente ou de réadaptation, sans passer par ces personnes. Il s'agissait notamment d'expertises psychiatriques concernant des toxicomanes et même, à une reprise, d'une expertise réalisée dans le cadre d'une procédure en divorce afin d'attribuer les enfants à l'un ou l'autre des parents.

Contacté par l'Autorité de surveillance LCPP, le médecin-conseil de l'Office de l'AI a expliqué que, dans le contexte des mesures d'instruction des demandes qui lui sont adressées, l'Office de l'AI peut être amené à requérir des expertises aux médecins, aux assurances et aux tribunaux en vertu d'une autorisation incluse dans la demande de prestations signée par l'assuré, cette autorisation étant de plus conforme aux articles 81 LAI et 93 LAVS.

Avis

A la dernière page des formulaires de demande de prestations de l'AI, le texte suivant est indiqué:

Autorisation

En signant ce formulaire, l'assuré(e) ou son/sa représentant(e) autorise toutes les personnes et tous les offices entrant en considération, en particulier les médecins, le personnel paramédical, les établissements hospitaliers, les caisses-maladie, les employeurs, les avocat(e)s, les fiduciaires, les assurances publiques et privées, les organismes publics ainsi que les institutions d'assistance privées, à donner aux organes de l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité les renseignements nécessaires à l'examen du bien-fondé de la demande et de l'octroi de prestations, ainsi que ceux visant à l'exercice par l'assurance du droit de recours contre les tiers responsables contre lesquels l'assuré(e) peut faire valoir des prétentions en dommage intérêts ensuite du préjudice subi.

Le Préposé fédéral à la protection des données a examiné la validité de telles clauses dans son septième rapport d'activités (p.171). Il relevait ainsi:

Dans le cadre de la procédure d'annonce, certains services en charge de l'AI demandent aussi des procurations leur permettant de recueillir des renseignements auprès de divers services. Cette procuration n'est pas seulement disproportionnée dans sa portée, elle manque également de transparence pour l'assuré. Elle prévoit en particulier de libérer les médecins du secret médical. Or les autorisations qui habilitent le médecin à répondre à toute question sur l'état d'un assuré vont trop loin. Ce sont des "procurations générales" qui, du point de vue de la protection des données, sont à considérer comme nulles.

L'Autorité de surveillance ne peut que reprendre cet avis en ce qui concerne la clause mentionnée à la fin du formulaire de demande de prestations de l'Office de l'AI. En effet, cette clause, pré rédigée, est soumise à la personne concernée dès qu'elle dépose une demande de prestations AI; elle est de surcroît extrêmement large, permettant notamment d'obtenir des informations non seulement de médecins, mais encore d'avocats, sans que la personne concernée ne soit mise au courant dans les détails de la suite des démarches ni qu'elle ne sache quels renseignements sont réclamés auprès de tiers. Une telle "procuration en blanc" ne saurait valablement libérer les médecins du secret médical, de même que les experts mandatés par la justice.

L'Autorité de surveillance recommande ainsi que l'Office de l'AI, s'il entend obtenir une expertise, s'adresse prioritairement à la personne concernée. Il lui est également loisible de s'adresser à l'expert mais en ayant préalablement obtenu de la personne concernée qu'elle signe une autorisation en sa faveur lui permettant de réclamer ce document clairement désigné. L'avantage de cette solution est évident : la personne concernée est informée d'emblée du traitement de données effectué par l'Office de l'AI et elle a donc la possibilité de réfuter cas échéant à temps une expertise inexacte par exemple ou d'intervenir lorsque l'échange des documents entre l'Office de l'AI et l'expert est trop important (atteinte au principe de la proportionnalité); elle peut également demander conseil à son médecin ou à son représentant légal et défendre ainsi ses droits.

Par contre, l'Office de l'AI n'est pas habilité à réclamer les expertises aux experts sur la base de l'autorisation incluse dans les demandes de prestations AI, comme il le fait aujourd'hui, cette autorisation ne libérant pas valablement l'expert des secrets qui le lient.

L'article 81 LAI prévoit que sont applicables par analogie les dispositions de la LAVS concernant notamment l'obligation de renseigner. Cette obligation découle de l'article 93 LAVS, lequel stipule que les autorités administratives et judiciaires de la Confédération, des cantons, des districts, des circonscriptions et des communes, ainsi que les organes des autres assurances sociales, fournissent gratuitement aux organes chargés d'appliquer la loi, dans des cas d'espèce et sur demande écrite et motivée, les données qui leur sont nécessaires pour fixer ou modifier des prestations ou en exiger la restitution, pour prévenir des versements indus, pour fixer et percevoir les cotisations et pour faire valoir une prétention récursoire contre le tiers responsable.

Dans la mesure où les experts désignés par les autorités judiciaires ne font pas partie des entités visées par l'article 93 LAVS, l'Office de l'AI ne peut invoquer cette disposition pour obtenir que les experts leur remettent leurs expertises. Par contre, l'Office de l'AI peut s'en prévaloir pour réclamer les expertises aux tribunaux, même sans autorisation donnée par la personne concernée.

L'Office de l'AI doit donc formuler sa requête dans chaque cas d'espèce par écrit et la motiver. Conformément au principe de la proportionnalité, la requête ne doit porter que sur les données personnelles appropriées et nécessaires pour atteindre le but poursuivi; à défaut, l'autorité judiciaire devra refuser la communication.

Conclusion

L’Autorité de surveillance LCPP prend ainsi les conclusions suivantes :

  • L'Office de l'AI devrait prioritairement demander à la personne concernée de lui remettre les expertises qui ont été faites à son égard.

  • L'Office de l'AI ne peut réclamer aux experts leurs expertises en se fondant sur l'autorisation qui figure à la fin du formulaire de demande de prestations AI, cette autorisation n'étant pas valable du point de vue de la protection des données. Elle peut par contre le faire si elle a obtenu préalablement une attestation particulière de la personne concernée, l'autorisant à obtenir l'expertise clairement désignée.

  • Même en l'absence du consentement de la personne concernée, l'Office de l'AI est habilité par les articles 81 LAI et 93 LAVS à demander aux tribunaux de lui remettre les expertises en déposant, dans chaque cas d'espèce, une demande écrite et motivée, le juge devant en outre examiner si le principe de la proportionnalité est respecté.

 

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