Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Expertises judiciaires dont la production est demandée par l'office AI

Protection des données

L'office AI peut-il demander des expertises émanant de différentes instances, sans demander l'autorisation des personnes concernées ?

Avis du préposé du 29 avril 2002

Préambule

Le 12 novembre 2001, l'Autorité de surveillance LCPP a été saisie afin d'examiner la légalité du passage d'expertises entre les tribunaux et l'Office de l'Assurance invalidité.

On lui signalait que l'Office de l'AI s'était procuré dans de nombreux cas des expertises destinées à la justice se rapportant à des personnes qui avaient déposé des demandes de rente ou de réadaptation, sans passer par ces personnes. Il s'agissait notamment d'expertises psychiatriques concernant des toxicomanes et même, à une reprise, d'une expertise réalisée dans le cadre d'une procédure en divorce afin d'attribuer les enfants à l'un ou l'autre des parents.

Contacté par l'Autorité de surveillance LCPP, le médecin-conseil de l'Office de l'AI a expliqué que, dans le contexte des mesures d'instruction des demandes qui lui sont adressées, l'Office de l'AI peut être amené à requérir des expertises aux médecins, aux assurances et aux tribunaux en vertu d'une autorisation incluse dans la demande de prestations signée par l'assuré, cette autorisation étant de plus conforme aux articles 81 LAI et 93 LAVS.

Le directeur de l’Office de l’AI s’est ensuite adressé à l’Autorité de surveillance LCPP. Il lui a fait remarquer que le médecin-conseil n’est pas investi d’un pouvoir décisionnel au sein de l’Office de l’AI, et qu’il n’est pas non plus au bénéfice d’une autorisation lui permettant d’agir au nom du directeur. Dès lors, le médecin-conseil n’aurait pas dû être contacté par l’autorité de surveillance LCPP pour obtenir des informations quant aux expertises judiciaires dont la production est demandée par l’Office de l’AI ; il n’était pas non plus habilité à répondre à cette requête. Le directeur de l’Office de l’AI relevait en outre que la réponse du médecin-conseil n’était pas conforme à la pratique de l’Office. En effet, les expertises sont dans la plupart des cas demandées aux tribunaux qui les ont ordonnées, sur la base de l’article 93 LAVS ; dans de rares cas, une expertise pourrait être transmise par un médecin-traitant ou, dans le cadre de la procédure d’audition, par la personne assurée elle-même ou par son avocat. En ce qui concerne l’autorisation incluse dans la demande de prestations, l’Office de l’AI déclare qu’il en connaît les limites et qu’il ne l’utilise pas pour obtenir des expertises judiciaires.

L’Autorité de surveillance s’est livrée à une enquête succincte. Ses recherches lui ont permis de découvrir une requête adressée par un collaborateur de l’Office de l’AI à un médecin afin qu’il transmette l’expertise psychiatrique à laquelle il avait procédé dans le cadre d’une procédure de divorce ; l’autorisation incluse dans la demande de prestations était invoquée pour fonder la transmission de l’expertise. L’Autorité de surveillance a découvert un second cas où le même collaborateur de l’Office de l’AI demandait une expertise à une autorité tutélaire, invoquant non seulement les articles 81 LAI et 93 LAVS, mais encore l’autorisation incluse dans la demande de prestations signée par l’assuré.

Le président de l’Autorité de surveillance a ainsi rencontré le directeur de l’Office AI afin d’obtenir des précisions quant à la pratique de l’Office. Lors de cette entrevue, le directeur a confirmé le contenu de son courrier, tout en n’excluant pas que l’un ou l’autre de ses collaborateurs ait pu ne pas respecter la pratique de l’Office et réclamer une expertise judiciaire à la personne qui l’avait rédigée en invoquant l’autorisation incluse dans la demande de prestations. Le directeur a précisé qu’il n’y a pas de consigne écrite pour les requêtes tendant à obtenir des expertises judiciaires, et qu’il est ainsi possible que certains de ses collaborateurs n’aient pas une pratique adéquate en la matière.

Avis

A la dernière page des formulaires de demande de prestations de l'AI, le texte suivant est indiqué:

Autorisation

En signant ce formulaire, l'assuré(e) ou son/sa représentant(e) autorise toutes les personnes et tous les offices entrant en considération, en particulier les médecins, le personnel paramédical, les établissements hospitaliers, les caisses-maladie, les employeurs, les avocat(e)s, les fiduciaires, les assurances publiques et privées, les organismes publics ainsi que les institutions d'assistance privées, à donner aux organes de l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité les renseignements nécessaires à l'examen du bien-fondé de la demande et de l'octroi de prestations, ainsi que ceux visant à l'exercice par l'assurance du droit de recours contre les tiers responsables contre lesquels l'assuré(e) peut faire valoir des prétentions en dommage intérêts ensuite du préjudice subi.

Le Préposé fédéral à la protection des données a examiné la validité de telles clauses dans son septième rapport d'activités (p.171). Il relevait ainsi:

Dans le cadre de la procédure d'annonce, certains services en charge de l'AI demandent aussi des procurations leur permettant de recueillir des renseignements auprès de divers services. Cette procuration n'est pas seulement disproportionnée dans sa portée, elle manque également de transparence pour l'assuré. Elle prévoit en particulier de libérer les médecins du secret médical. Or les autorisations qui habilitent le médecin à répondre à toute question sur l'état d'un assuré vont trop loin. Ce sont des "procurations générales" qui, du point de vue de la protection des données, sont à considérer comme nulles.

L'Autorité de surveillance ne peut que reprendre cet avis en ce qui concerne la clause mentionnée à la fin du formulaire de demande de prestations de l'Office de l'AI. En effet, cette clause, prérédigée, est soumise à la personne concernée dès qu'elle dépose une demande de prestations AI; elle est de surcroît extrêmement large, permettant notamment d'obtenir des informations non seulement de médecins, mais encore d'avocats, sans que la personne concernée ne soit mise au courant dans les détails de la suite des démarches ni qu'elle ne sache quels renseignements sont réclamés auprès de tiers. Une telle "procuration en blanc" ne saurait valablement libérer les médecins du secret médical, de même que les experts mandatés par la justice.

Dès lors, ainsi que le directeur de l’Office de l’AI le reconnaît, l’Office doit, s'il entend obtenir une expertise, s'adresser prioritairement à la personne concernée. Il lui est également loisible de s'adresser à l'expert mais en ayant préalablement obtenu de la personne concernée qu'elle signe une autorisation en sa faveur lui permettant de réclamer ce document clairement désigné. L'avantage de cette solution est évident : la personne concernée est informée d'emblée du traitement de données effectué par l'Office de l'AI et elle a donc la possibilité de réfuter cas échéant à temps une expertise inexacte par exemple ou d'intervenir lorsque l'échange des documents entre l'Office de l'AI et l'expert est trop important (atteinte au principe de la proportionnalité); elle peut également demander conseil à son médecin ou à son représentant légal et défendre ainsi ses droits.

Par contre, l'Office de l'AI n'est pas habilité à réclamer les expertises aux experts sur la base de l'autorisation incluse dans les demandes de prestations AI, cette autorisation ne libérant pas valablement l'expert des secrets qui le lient.

L'article 81 LAI prévoit que sont applicables par analogie les dispositions de la LAVS concernant notamment l'obligation de renseigner. Cette obligation découle de l'article 93 LAVS, lequel stipule que les autorités administratives et judiciaires de la Confédération, des cantons, des districts, des circonscriptions et des communes, ainsi que les organes des autres assurances sociales, fournissent gratuitement aux organes chargés d'appliquer la loi, dans des cas d'espèce et sur demande écrite et motivée, les données qui leur sont nécessaires pour fixer ou modifier des prestations ou en exiger la restitution, pour prévenir des versements indus, pour fixer et percevoir les cotisations et pour faire valoir une prétention récursoire contre le tiers responsable.

Dans la mesure où les experts désignés par les autorités judiciaires ne font pas partie des entités visées par l'article 93 LAVS, l'Office de l'AI ne peut invoquer cette disposition pour obtenir que les experts leur remettent leurs expertises. Par contre, l'Office de l'AI peut s'en prévaloir pour réclamer les expertises aux tribunaux, même sans autorisation donnée par la personne concernée.

L'Office de l'AI doit donc formuler sa requête dans chaque cas d'espèce par écrit et la motiver. Conformément au principe de la proportionnalité, la requête ne doit porter que sur les données personnelles appropriées et nécessaires pour atteindre le but poursuivi; à défaut, l'autorité judiciaire devra refuser la communication.

Les principes rappelés aux chiffres 1 et 2 ci-dessus ne sont pas inconnus du directeur de l’Office de l’AI. Cependant, l’Autorité de surveillance LCPP a pu mettre en évidence qu’ils ne paraissent pas connus et respectés de tous les collaborateurs de l’Office. L’Autorité recommande ainsi que le directeur de l’Office de l’AI oriente l’ensemble de ses collaborateurs à ce sujet, éventuellement qu’il leur adresse des directives écrites en la matière.

De même, on ne saurait exclure que des experts judiciaires ne connaissent pas l’ensemble des principes développés dans le présent avis. Il convient dès lors qu’ils soient également renseignés sur ce point.

Conclusions

L’Autorité de surveillance LCPP prend ainsi les conclusions suivantes :

L'Office de l'AI doit prioritairement demander à la personne concernée de lui remettre les expertises qui ont été faites à son égard.

L'Office de l'AI ne peut réclamer aux experts leurs expertises en se fondant sur l'autorisation qui figure à la fin du formulaire de demande de prestations AI, cette autorisation n'étant pas valable du point de vue de la protection des données. Elle peut par contre le faire si elle a obtenu préalablement une autorisation particulière de la personne concernée, lui permettant d’obtenir l'expertise clairement désignée.

Même en l'absence du consentement de la personne concernée, l'Office de l'AI est habilité par les articles 81 LAI et 93 LAVS à demander aux tribunaux de lui remettre les expertises en déposant, dans chaque cas d'espèce, une demande écrite et motivée, le juge devant en outre examiner si le principe de la proportionnalité est respecté.

L’Autorité de surveillance LCPP recommande en outre les mesures suivantes :

Il serait judicieux que le directeur de l’Office de l’AI renseigne l’ensemble de ses collaborateurs sur les principes régissant la production des expertises judiciaires, voire qu’il émette des directives écrites en la matière.

Les autorités et les experts judiciaires doivent être également renseignés.

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