Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Demande d'accès à un rapport d'audit, recours à la CDP (2020.3176)

Transparence

Observations à la Cour de droit public pour l'accès au rapport d'audit de la LNM

Détermination du PPDT 2020.3176 transmise à la CDP le 8 avril 2020

Observations sur le recours de Monsieur X. contre la décision de la Commission de la protection des données et de la transparence (ci-après la Commission) du 19 novembre 2019.

À propos de la recevabilité formelle du recours, le Préposé à la protection des données et à la transparence (ci-après PPDT) s'en remet à l'appréciation de la Cour.

1. Recevabilité des observations

Les présentes observations sont adressées à votre autorité dans le délai de 20 jours imparti par votre lettre recommandée réceptionnée le 5 mars 2020, régi par les articles 142 ss CC par renvoi de l’article 20 LPJA, suspendu jusqu’au 19 avril 2020 par l’article 1 de l’O. sur la suspension des délais dans les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice en lien avec le coronavirus (COVID-19 ; RS 173.110.4).

2. Renvoi erroné du dossier au Conseil d’État

Comme le confirme votre jurisprudence (arrêt de la CDP NE du 9 octobre 2017 CPD.2016.152, consid. 2cc ), l’article 42 CPDT-JUNE prévoit que la Commission ne peut être saisie que si la conciliation échoue ou si la convention, au sens de l’article 41 al. 3 CPDT-JUNE, n’est pas exécutée.

Or, la procédure de conciliation a été suspendue le 18 mai 2018 jusqu’en septembre 2018 car le document requis figurait dans une procédure civile et une pénale. Le 19 octobre 2018 les parties ont été informées que les procédures précitées étaient toujours en cours. Après des échanges d’e-mails, le PPDT a écrit aux parties le 23 novembre 2018 que les autorités de protection des données et de la transparence n’étaient pas compétentes pour traiter la demande d’accès en cause (décision attaquée let. F, recours déposé faits n°11 et 12).

Par conséquent, force est de constater que le PPDT n’a ni constaté l’échec de la conciliation, ni établi un procès-verbal portant sur une convention entre les parties. Au lieu de renvoyer le dossier au Conseil d’État neuchâtelois, la Commission aurait plutôt dû l’adresser au PPDT pour qu’il s’efforce d’amener les parties à un accord, conformément à l’article 41 al. 1 CPDT-JUNE.

À relever préalablement, en droit, que le constat d’incompétence adressé le 23 novembre 2018 aux parties par le PPDT n’est qu’un acte matériel et non une décision susceptible de recours (arrêt du TC FR du 21 mai 2019 601 2019 19, p. 7 in fine). Seule la Commission décide au sens des articles 3 et 4 LPJA, ainsi que 43 al. 1 CPDT-JUNE.

Ensuite, selon une jurisprudence postérieure aux observations du soussigné adressées à la Commission, la procédure instaurée par la CPDT-JUNE, à l’instar de celle prévue par la loi du 17 décembre 2004 sur le principe de la transparence dans l'administration (loi sur la transparence, LTrans ; RS 152.3) consacre une procédure d'accès aux documents officiels qui se divise en deux parties principales : d'une part, les procédures de demande d'accès (auprès de l'autorité possédant le document), puis de conciliation (auprès du PPDT) et, d'autre part, les procédures de décision (auprès de la Commission) et de recours (auprès de votre autorité) ; ces deux parties forment un tout indissociable qui a pour but le prononcé d'une décision sur la question de l'accès à certains documents. Il est essentiel que le PPDT procède à la conciliation. Ce n'est qu'après cette étape que la Commission pourra être saisie (arrêt du TC FR du 21 mai 2019 601 2019 19, p. 6 et réf. cit.).

Si votre autorité n’exige pas le respect strict de toutes les étapes de cette procédure, les parties demandant l’accès à des documents seraient alors confortées, dans certains cas, dans leur volonté d’éviter la tentative de conciliation menée par le PPDT, afin d’essayer notamment de gagner un peu de temps.

D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, la décision d'une autorité incompétente n'est pas nulle mais annulable (arrêt du Tribunal fédéral du 11 novembre 2015 C-48/2014 consid. 2.2.3). Il convient dès lors à votre autorité d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer le dossier au PPDT pour effectuer la conciliation.

3. Caractère officiel du document demandé

Le document en cause a été élaboré sur demande du Conseil d'État, dans le cadre de sa tâche légale consistant à contrôler l'utilisation des subventions accordées (art. 27 ss LSub ; RSN 601. 8). Il ne fait dès lors aucun doute qu'il s'agit d'un document officiel au sens de l'article 70 CPDT-JUNE, conformément à la jurisprudence (voir notamment l'arrêt du 29 mai 2018 1C_472/2017 consid. 2. 3).

Vu que cette qualification ne semble pas remise en cause par les parties et la Commission, seules les restrictions à l’accès au rapport requis doivent être examinées.

4. Incompétences des autorités de protection des données et de la transparence

Sur ce point, il est principalement renvoyé à l’argumentation juridique figurant dans le courrier adressé aux parties le 23 novembre 2018 et dans les observations adressées à la Commission le 23 janvier 2019.

Il est néanmoins relevé que la décision attaquée semble en contradiction avec celle rendue le 8 décembre 2015 : « sachant que le rapport d'enquête sur le CAPE a été élaboré parallèlement au déroulement d'une procédure pénale (voir les communiqués de presse, lit. A ci-dessus), ou si ce rapport fait justement partie de la procédure pénale, ce qui renverrait aux dispositions du CPP. Dans cette seconde hypothèse en effet, « l'accès aux documents officiels ayant trait aux procédures et arbitrages pendants est régi par les dispositions de procédure » (art. 69 al. 2 CPDT-JUNE). Ce serait alors aux autorités de poursuite pénale d'en décider (art. 101 et 102 CPP) tant que la procédure pénale est pendante, puis aux autorités désignées par le droit cantonal en matière de protection des données, après la clôture de la procédure (art. 99 CPP). » (décision de la CPDT 2015. 02-03 du 8 décembre 2015). Dans ce cas d’espèce, le document requis traitait les mêmes faits que la procédure pénale, mais il n’avait pas été « physiquement » intégré dans le dossier pénal. Alors qu’ici, le document requis est entre les mains de deux autorités judiciaires.

De plus, l’article 69 al. 2 CPDT-JUNE, non seulement a pour objectif d’éviter une concurrence de normes entre les dispositions de la transparence et les dispositions spécifiques de procédure qui régissent l'accès aux documents, mais cherche également à épargner une analyse des dossiers de procédures en cours aux autorités chargées d’appliquer les règles de la transparence, telle que celle figurant dans la décision attaquée. Il n’est pas certain que cette approche soit transposable à l’ensemble des cas de figure.

La décision doit également être annulée sur ce point et le dossier renvoyé au PPDT pour effectuer la conciliation lorsque les autorités judiciaires auront attesté que les procédures en cours seront closes.

5. Exception de l’article 72 al. 2 let. e CPDT-JUNE

Le processus décisionnel ne peut être considéré comme « notablement » menacé que si, à la suite de la divulgation, il ne peut plus être mis en œuvre ou s’il peut encore être influencé après que la décision ait été prise. La simple possibilité que la publication puisse déclencher un débat public féroce et controversé n'est pas suffisante. De même, tout retard ou complication dans le processus de formation de l’opinion et de la volonté ne constitue pas de facto une atteinte significative (arrêt du Tribunal administratif fédéral du 11 décembre 2019 A-2352/2017, consid. 4.5.1 et réf. cit.). Il faut que la perturbation soit sensible, et il incombe à l'autorité de rendre ce risque vraisemblable. Le système de la CPDT-JUNE met le fardeau de la preuve à la charge de l'autorité, dû à la présomption en faveur du droit d'accès aux documents officiels (arrêts du Tribunal cantonal vaudois du 9 janvier 2018, GE.2017.0086, consid. 2e ; du 25 juillet 2019, GE.2018.0105, consid. 4d et réf. cit.).

En l’occurrence, il est tout d’abord douteux que le recourant puisse invoquer une disposition réservée aux entités soumises à la CPDT-JUNE.

Ensuite, il serait curieux d’admettre que l’indépendance de la justice puisse être remise en cause par la parution d’articles de presse sur le sujet. Le recours doit être manifestement rejeté sur ce point.

6. Exception de l’article 72 al. 3 let. a CPDT-JUNE

Lorsqu’une demande d’accès provoque un conflit entre l'intérêt à la protection de la sphère privée et l'intérêt à l'accès aux documents officiels, ceux contenant des données personnelles doivent être si possible rendus anonymes avant qu'ils ne soient consultés. Pour le cas où il n'est pas possible de rendre anonyme un document, ou que la personne reste reconnaissable du fait de sa fonction, l’article 72 al. 3 let. a CPDT-JUNE constitue une norme de coordination sur l'accès à des documents officiels contenant des données personnelles et fixe les conditions auxquelles les entités peuvent communiquer des données personnelles en vertu de la CPDT-JUNE. Les règles de protection des données commandent de déterminer au cas par cas, après évaluation minutieuse des intérêts en présence, le type de données pouvant être publiées. Lors de la pondération de ces intérêts privés, il faut en particulier tenir compte :

  1. du genre des données visées ;

  2. du rôle et de la position de la personne concernée ;

  3. de la gravité des conséquences que la divulgation entraînerait pour elle.

En présence d’intérêts privés prépondérants, l’autorité ne doit pas nécessairement refuser l’accès , elle peut aussi se borner à limiter ou à différer l’accès conformément au principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal administratif fédéral du 11 décembre 2019 A-2352/2017, consid. 4.6.2 et réf. cit.).

a) Genre de données visées

Les données personnelles relatives à une ancienne activité dans l’administration relèvent de la vie professionnelle. Elles ne sont en principe pas considérées comme sensibles ou constituant un profil de la personnalité. C’est pourquoi il ne peut pas être retenu un intérêt prépondérant privé permettant de s’opposer à leur accès, malgré leur caractère partiellement incriminant (arrêt du Tribunal administratif du 13 juillet 2016 A-8073/2015 consid. 6.2.3.2 ).

En l’espèce, le recourant ne dit pas où le rapport contiendrait des données sensibles ou un profil de la personnalité. Au contraire, il affirme qu’il n’y a que des données personnelles. Quoi qu’il en soit, force est de constater que le rapport se limite à des données relatives à l’activité professionnelle du recourant, données ne bénéficiant pas d’une protection équivalente à celles relatives à la sphère privée.

b) Rôle et position de la personne concernée

La jurisprudence et la doctrine précisent que les employés de l’administration ne peuvent pas, au vu de leurs fonctions publiques, se prévaloir d’une protection de leur sphère privée équivalente à celle d’un tiers. De plus, il faut différencier les employés ayant une fonction dirigeante des employés ayant une fonction subalterne. Les employés occupant une fonction dirigeante doivent admettre que, dans certaines circonstances, des données personnelles sensibles soient divulguées. Des personnes concernées occupant des positions élevées doivent admettre plus largement que leurs données personnelles soient divulguées. En sus, la doctrine ajoute qu’il n’est généralement pas nécessaire d’anonymiser les données personnelles des personnes ayant une fonction officielle et accomplissant une tâche publique, comme par exemple les employés de l’administration. La jurisprudence apporte néanmoins une précision en relevant que si la divulgation du nom d’un employé de l’administration n’a pas d’intérêt, il doit être anonymisé. En application du principe de proportionnalité, des restrictions minimes au droit d’accès peuvent être admises tant qu’elles n’impactent pas le contenu du document (arrêt du Tribunal administratif du 13 juillet 2016 A-8073/2015 consid. 6.1.3 ; Recommandations du PFPDT du 21 janvier 2019, Centrale de compensation, N. 20 et réf. cit.,  et du 20 décembre 2019, Centrale de compensation, N. 23 et réf. cit.).

Cette jurisprudence s’applique par analogie au cas d’espèce puisque l’entreprise dont le recourant était directeur bénéficiait des deniers de l’État.

c) Gravité des conséquences que la divulgation entraînerait pour la personne concernée

L'octroi de l’accès doit constituer une menace sérieuse contre des intérêts publics ou privés, dont la réalisation présente une certaine vraisemblance, pour être refusé. Le fait qu'un droit d'accès puisse avoir des conséquences désagréables n'a pas à être pris en considération (arrêts du Tribunal fédéral du 29 mai 2018 1C_472/2017, consid. 3.1 et réf. citées ; Tribunal cantonal vaudois du 25 juilllet 2019 GE.2018.0105, consid. 4e et réf. cit.).

Votre Cour et le Tribunal fédéral (TF) ont déjà jugé que les désagréments liés à la révélation de faits concernant l’activité d’un dirigeant ne suffisent pas à eux seuls à justifier un refus. Une éventuelle atteinte à la considération sociale conséquente à de telles révélations apparaît elle aussi insuffisante. L’intérêt public à connaître les conclusions d'un rapport sur le fonctionnement d'une institution publique doit l'emporter sur les intérêts privés des personnes qui peuvent se trouver mises en cause : le principe de la transparence consacré à l'art. 1 al. 1 CPDT-JUNE tend particulièrement à mettre à jour des dysfonctionnements de l'administration ainsi que les mesures prises par l'État pour y remédier (arrêt du Tribunal fédéral du 29 mai 2018 1C_472/2017, consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal cantonal fribourgeois du 28 novembre 2018, 601 2018 267, consid. 2.4).

La menace d’une atteinte sérieuse à la personnalité doit apparaître avec une certaine vraisemblance. En conséquence, le préjudice redouté en cas d’octroi de l’accès au document doit être important ; sa survenance ne doit certes pas être patente. Toutefois, que ce préjudice soit seulement concevable ou hypothétiquement possible ne suffit pas, car le changement de paradigme opéré par la loi serait alors contredit (ATF 142 II 324 consid. 3.4 et réf. cit., JdT 2017 I p. 13 (22)).

Le risque que des appréciations personnelles puissent être considérées comme dévalorisantes pour les personnes qui en font l'objet ou que leurs auteurs soient à leur tour critiqués pour avoir exprimé certaines opinions ne peut être écarté. Ce risque est néanmoins inhérent à toute communication d'audit organisationnel d'une institution, qui comporte forcément des points négatifs et des pistes d'améliorations possibles. Or, refuser l’accès irait à l'encontre du principe de transparence prévu par la loi. Il existe au demeurant un intérêt public à ce qu'un rapport mettant en lumière certains dysfonctionnements d'un service communal soit accessible au public. Il y a ainsi lieu de considérer que le refus d'accès à l'intégralité d’un rapport d'audit litigieux, sans distinguer les passages qui peuvent néanmoins être communiqués, n'est pas justifié par un intérêt public prépondérant. Seuls les passages transcrivant de manière anonyme les appréciations des collaborateurs doivent être soustraits au droit à l'information (arrêt du Tribunal cantonal vaudois du 25 juillet 2019 GE.2018.0105, consid. 4d et réf. cit.).

Par ailleurs, une objection au droit d’accès soulevée au motif de l’ancienneté du document, ne saurait remettre en cause le droit d'accès, pas plus que d’éventuelles inexactitudes qu'il pourrait contenir. Le droit de l'intimée de rectifier de telles inexactitudes fait l'objet de dispositions distinctes dont l'application n’a pas à être discutée dans le cadre de l’application des règles en matière de transparence des activités étatiques (arrêt du Tribunal fédéral du 29 mai 2018 1C_472/2017, consid. 3.3).

En l’occurrence, force est de constater que le recourant ne développe pas dans son recours, à quelle menace sérieuse et vraisemblable pour sa personnalité la publication du rapport l’exposerait. Or, le fardeau de la preuve imposé aux autorités souhaitant restreindre l’accès à un document devrait s’appliquer par analogie aux tiers concernés qui s’opposent à la communication de leurs données personnelles.

Le recourant n’explique pas en quoi la publication d’un article sur les faits constatés, dans un rapport d’audit relatif à la gestion d’une entreprise subventionnée, constituerait un lynchage médiatique et non de l’information pour les contribuables. Pas davantage en quoi la pérennité de son emploi serait touchée. Quoi qu’il en dise, le public est en droit de savoir dans le détail comment une entreprise privée subventionnée a géré les deniers de l’État.

Le recours doit être également manifestement rejeté sur ce point.

7.  Conclusions

Le PPDT invite la Cour à annuler la décision du 19 novembre 2019 de la Commission de la protection des données et de la transparence et à lui renvoyer le dossier pour effectuer la conciliation, lorsque les autorités judiciaires auront attesté que les procédures en cours seront closes.

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