Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Conditions pour restreindre l'accès à un document officiel (2020.3096)

Transparence

À quelles conditions est-il possible de refuser l’accès à un document officiel définitif n’ayant pas trait à une procédure, n’étant pas une aide à la décision, pas destiné à l’usage personnel ou ne faisant pas l’objet d’une commercialisation ?

Avis du PPDT 2020.3096 publié le 14 janvier 2020

Passages de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 11 décembre 2019 (A-2352/2017) adapté au droit cantonal, partiellement modifié et remis en forme, avec quelques compléments cantonaux.

Hormis pour les procès-verbaux des séances non publiques, les règles de la transparence fondent une présomption en faveur du libre accès aux documents officiels qui n’entrent pas dans l’une des catégories citées dans la question. Il appartient aux entités de prouver que le document n’est pas accessible. Une atteinte mineure ou simplement désagréable aux intérêts publics/privés engendrée par l'accès ne saurait constituer un motif de refus. Lorsque la probabilité de la réalisation de la violation d'intérêts à protéger existe tout en étant faible ou lorsqu'il faut s'attendre à une conséquence négative mineure, il est indiqué d'opter en faveur de l'accès. En cas de variante possible, l'autorité doit choisir la moins incisive et qui porte le moins possible atteinte au principe de la transparence. Les documents officiels contenant des données personnelles doivent être si possible rendus anonymes avant qu'ils soient consultés. Si l'entité entend refuser la consultation de pièces faisant l'objet d'une procédure d'accès, elle est tenue en tous les cas de communiquer au demandeur un résumé du contenu essentiel de ces documents, si elle les utilise à leur détriment.

1. Préambule

La CPDT-JUNE vise à promouvoir la transparence quant à la mission, l'organisation et l'activité de l'administration. A cette fin, elle contribue à l'information du public en garantissant l'accès aux documents officiels[1]. Ce droit d'accès général concrétise le but essentiel de la loi, qui est de renverser le principe du secret de l'activité de l'administration au profit de celui de transparence[2]. Il s'agit, en effet, de susciter la confiance du citoyen en l'administration et en son fonctionnement, de renforcer le caractère démocratique des institutions publiques, tout en améliorant le contrôle des autorités étatiques[3]. La loi s'applique ainsi à l'ensemble des administrations et collectivités publiques cantonales et communales, ainsi qu’aux entreprises privées accomplissant des tâches d’intérêt public[4].

Ainsi, pour autant que la CPDT-JUNE soit applicable à raison de la personne et de la matière[5]  et qu’aucune disposition spéciale au sens de l’art. 69 al.4 CPDT-JUNE n’existe, toute personne a le droit de consulter – et de demander une copie sous réserve des droits d'auteur – des documents officiels[6], sans devoir justifier d'un intérêt particulier[7]. Par documents officiels, il faut entendre toute information qui est détenue par l'autorité dont elle émane ou à laquelle elle a été communiquée, et qui concerne l'accomplissement d'une tâche publique[8]. A cet égard, peu importe le support sur lequel a été enregistrée le document officiel. La loi admet également que si le document n’existe pas, l’autorité est néanmoins obligée de le produire si celui-ci peut être facilement établi par un traitement informatisé.

La CPDT-JUNE fonde donc une présomption en faveur du libre accès aux documents officiels[9].

Dès lors, si l’autorité décide de limiter ou refuser l'accès à des documents officiels, elle supporte le fardeau de la preuve destiné à renverser la présomption du libre accès aux documents officiels, instituée par la CPDT-JUNE. En d'autres termes, elle doit exposer pour quel motif et dans quelle mesure une ou plusieurs des exceptions légales figurant aux art. 69, 70 et 72 CPDT-JUNE est ou sont réalisées[10]. L’autorité jouissant d’un important pouvoir d’appréciation dans l’application des exceptions prévues par la loi, les exigences de motivation en sont d’autant plus élevées. Les explications de l'autorité doivent être convaincantes, à savoir être précises et claires, complètes et cohérentes[11]. Le principe de la proportionnalité dicte également qu’elle explique pourquoi, le cas échéant, un accès restreint ne peut pas être autorisé[12].

2. Restrictions admises

2.1 Généralités

Uniquement dans les cas spécifiés aux art. 69, 70 et 72 CPDT-JUNE, l'accès aux documents officiels est restreint, différé ou refusé. 

Les intérêts publics ou privés énoncés à l’art. 72 CPDT-JUNE, qui peuvent justifier le maintien du secret, doivent alors revêtir un caractère prépondérant par rapport à l'intérêt (public) à l'accès auxdits documents, respectivement à la transparence. La loi procède par avance à une pesée des intérêts en cause, dans la mesure où elle énumère de manière exhaustive les différents cas où les intérêts publics ou privés apparaissent prépondérants[13]

Cela étant, il revient ensuite à l’autorité d’examiner de cas en cas si les exceptions légales sont réalisées.

En effet, pour que les clauses d'exclusion figurant à l'art. 72 CPDT-JUNE trouvent application, il faut que l'éventuel préjudice consécutif à la divulgation atteigne une certaine intensité et que le risque de sa survenance, selon le cours ordinaire des choses, soit hautement probable[14]. Une conséquence mineure ou simplement désagréable engendrée par l'accès ne saurait constituer une telle atteinte[15]. L’atteinte menaçante doit être importante. Si sa survenance ne doit pas apparaître comme certaine, cette atteinte ou menace ne saurait uniquement être imaginable ou possible, au risque de vider de son sens le changement de paradigme introduit par la CPDT-JUNE[16].  

Comme en général en matière de limitation des droits fondamentaux, ces clauses d'exclusion doivent être interprétées restrictivement[17]. Dans les cas limites, par exemple lorsque la probabilité de la réalisation de la violation d'intérêts à protéger existe tout en étant faible ou lorsqu'il faut s'attendre à une conséquence négative mineure, il est indiqué d'opter en faveur de l'accès[18]. Dans tous les cas, en application du principe de la proportionnalité, lorsqu'une limitation paraît justifiée, l'autorité doit choisir la variante la moins incisive et qui porte le moins possible atteinte au principe de la transparence[19].

Ci-après sont examinées plus en détail les restrictions régulièrement soulevées par les entités :

2.2 Influence le processus décisionnel d’une entité

L’art. 72 al. 2 let. e CPDT-JUNE, permet de restreindre ou de refuser l’accès à un document lorsque la divulgation est susceptible d’influencer le processus décisionnel d’une entité. Cela étant, ce processus ne peut être considérée comme influencé au sens de cette disposition que si, à la suite de la divulgation, la décision ne peut plus être mise en œuvre ou si elle peut encore être influencée après que la décision ait été prise. La simple possibilité que la publication puisse déclencher un débat public féroce et controversé n'est pas suffisante. De même tout retard ou complication dans le processus décisionnel ne constitue pas de facto une atteinte significative[20]

2.3 Révélation des secrets professionnels, de fabrication ou d’affaires

Selon l'art. 72 al. 3 let. b CPDT-JUNE, le droit d'accès est limité, différé ou refusé lorsque l'accès à un document officiel peut révéler des secrets professionnels, d'affaires ou de fabrication. Le but de cette disposition est d'empêcher que l'introduction du principe de la transparence entraîne la divulgation de secrets à des tiers extérieurs à l'administration[21]. Cette clause d'exclusion ne concerne pas toutes les informations commerciales, mais uniquement les données essentielles dont la divulgation provoquerait une distorsion de la concurrence ou pourrait nuire à la marche des affaires[22]. Peut être qualifié de secret tout fait qui n'est ni notoire ni généralement accessible au public et que le maître du secret, en raison d'un intérêt justifié, ne veut pas divulguer[23]. En d'autres termes, il est admis qu'un secret d'affaires existe uniquement si l'état de fait satisfait les quatre conditions cumulatives suivantes:

(a) il doit exister un lien entre l'information et l'entreprise ;

(b) le fait en question doit être relativement inconnu ;

(c) le détenteur du secret souhaite ne pas le révéler (intérêt subjectif au maintien du secret) ;

(d) il existe un intérêt fondé au maintien du secret[24].

2.4 Révélation des informations fournies librement par un tiers à une entité qui a garanti le secret

L’art. 72 al. 3 let. c CPDT-JUNE, dont fait état l’intimée, permet aussi de limiter, différer ou refuser l’accès à des documents officiels, lorsqu’il peut avoir pour effet de divulguer des informations fournies librement par un tiers à une autorité qui en a garanti le secret. L’absence de contrainte et la garantie du secret doivent exister de manière cumulative, faute de quoi, le tiers ne peut invoquer sa bonne foi. Lorsqu’une personne a l’obligation légale – une loi au sens matériel suffit – ou contractuelle de donner une information, elle ne peut en exiger le secret[25].

2.5 Le document contient des données personnelles dont la communication n’est pas autorisée

Le droit d'accès peut également être limité, différé ou refusé si l'accès à un document officiel peut porter atteinte à la sphère privée de tiers, à moins qu'un intérêt public à la transparence ne soit exceptionnellement jugé prépondérant (art. 72 al. 3 let. a CPDT-JUNE). 

L’art.13 al. 1 Cst. garantit de manière générale le droit à la sphère privée et à la sphère intime ; l’art. 13 al. 2 Cst. protège de manière spécifique le droit à l’autodétermination en matière de données personnelles. Ce droit garantit à chacun de pouvoir déterminer si et dans quel but des données qui le concernent peuvent être conservées et traitées par des tiers, publics ou privés[26]. La notion du traitement de données inclut la divulgation, à savoir l’octroi de l’accès aux données personnelles, leur transmission ou leur publication[27]. La définition de données personnelles figure à l'art. 14 let. a de la CPDT-JUNE

Les documents officiels contenant des données personnelles doivent être si possible rendus anonymes avant qu'ils soient consultés. Pour le cas où il n'est pas possible de rendre anonyme un document[28], les articles 25, 26 et 77 CPDT-JUNE s'appliquent. Ils fixent les conditions auxquelles les entités peuvent communiquer des données personnelles en vertu de la CPDT-JUNE

Ainsi, ces dispositions commandent de déterminer au cas par cas, après évaluation minutieuse des intérêts en présence, le type de données pouvant être publiées. Lors de la pondération de ces intérêts privés, il faut en particulier tenir compte du genre des données visées, du rôle et de la position de la personne concernée, et de la gravité des conséquences que la divulgation entraînerait pour elle[29]. Il faut rappeler qu’en présence d’intérêts privés prépondérants, l’autorité ne doit pas nécessairement refuser l’accès ; elle peut aussi se borner à limiter ou à différer l’accès conformément au principe de la proportionnalité[30].

La CPDT-JUNE prévoit que si l’accès à un document officiel peut porter atteinte à un intérêt prépondérant public ou privé selon l’article 72 CPDT-JUNE, les articles 30 et 36 CPDT-JUNE sont applicables par analogie. Si la communication de données personnelles peut porter atteinte à un intérêt prépondérant public ou privé, les entités ou les personnes concernées peuvent exercer leur droit d’être entendu. Pour ce faire, les entités peuvent s’adresser aux personnes concernées à l’aide de ce formulaire. Après la réponse de celles-ci, l’entité qui entend communiquer les données malgré une opposition, elle doit en aviser l’opposant en indiquant sommairement et par écrit les motifs de sa position, de même que la possibilité de saisir le préposé au sens de l’article 40 CPDT-JUNE. Un formulaire est à disposition.

Pour plus de détails sur la procédure, prière de consulter cette page.

3. Motivation d’un refus

Si l'entité entend refuser la consultation de pièces faisant l'objet d'une procédure d'accès, elle est en principe tenue de communiquer à tout le moins et rapidement aux demandeurs une version caviardée ou un résumé du contenu essentiel des documents (lorsque le caviardage les rend incompréhensibles), si elle les utilise à leur détriment. Elle doit indiquer clairement, au plus tard dans ses observations/son recours adressé/s à la Commission de protection des données et de la transparence, les motifs qui l’on conduit à considérer que telle ou telle information ne pouvait pas être consultée. Les explications doivent être convaincantes, à savoir être précises et claires, complètes et cohérentes (TAF, A-2352/2017, 11 décembre 2019, consid. 4.3; TAF, A-6/2015, 26 juillet 2017, consid. 4.1). Une motivation sommaire n'est pas admissible. La détermination doit indiquer clairement les motifs qui ont conduit l'autorité à considérer que tel ou tel document ne pouvait pas être consulté ou seulement partiellement (TAF, A-2352/2017, 11 décembre 2019, consid. 6.2).

Dans tous les cas, un refus doit contenir au minimum les éléments figurant dans ce modèle.

4. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme

L’application de la CPDT-JUNE doit également prendre en compte l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) Magyar Helsinki Bizottság contre Hongrie (Grande Chambre) du 28 novembre 2016 req. n° 18030/1.

Une partie de la doctrine s’est montrée critique – notamment à la suite de l’arrêt CEDH Magyar Helsinki Bizottság[31], à l’égard de l’interprétation donnée par la jurisprudence des exceptions à la transparence qui veut que comme une pesée des intérêts a été opérée en amont par le législateur, elle ne doit pas être pratiqué dans un cas concret.

Or, un examen attentif de la portée de cette jurisprudence conduit à considérer qu'elle est compatible avec l'arrêt CEDH Magyar Helsinki Bizottság. Pour le démontrer, il convient d’analyser tout d'abord cet arrêt, la Suisse étant liée par la jurisprudence de la Cour EDH puis de le considérer à l'aune de la pratique tirée de la CPDT-JUNE.

L’arrêt de la Cour EDH du 28 novembre 2016 consacre la reconnaissance d’un droit d’accès aux informations détenues par un Etat fondée sur l’art. 10 CEDH, à certaines conditions. Il faut tout d’abord que la demande d’accès ait pour but d’exercer « sa liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées »[32]; autrement dit, que les documents requis soient nécessaires à la liberté d’expression du demandeur. Il s’agit là, selon les termes même de la Cour EDH, d’une « condition préalable ». Le deuxième critère a trait à la nature des informations recherchées, lesquelles doivent généralement présenter un intérêt public. Les demandes visant à satisfaire un goût pour le sensationnel et le voyeurisme ne sont pas protégées par l’art. 10 CEDH[33]. Troisièmement, le statut du demandeur doit être pris en compte. Celui-ci doit assumer « un rôle particulier de réception et de communication au public des informations qu’il recherche »[34]. La Cour EDH évoque en particulier la presse et les ONG, tout en rappelant le niveau de protection élevé dont bénéficient d’autres « chiens de garde publics »[35]. Le quatrième critère tient à la disponibilité des informations sollicitées[36], en ce sens que dans l’appréciation globale de la question de savoir s’il y a ingérence de l’Etat dans la liberté d’expression protégée par l’art. 10 CEDH, le fait qu’aucun travail de collecte de données n’est nécessaire constitue un élément important[37].

La condition et les critères ainsi dégagés par la Cour EDH étaient à l’évidence satisfait dans l’affaire en question qui mettait aux prises une ONG demandant des informations relatives aux avocats commis d’office et l’Etat hongrois qui les refusait au motif qu’elles contenaient des données personnelles non soumises à divulgation selon le droit hongrois. L’ingérence de l’Etat hongrois étant reconnue, la Cour a examiné dans un deuxième temps si elle était justifiée par une base légale suffisante, un but légitime et était « nécessaire dans une société démocratique »[38]. C’est ce dernier point – celui de la proportionnalité – qui a posé problème, en particulier parce que la loi hongroise – du moins telle qu’interprétée par les juridictions nationales – excluait toute « appréciation sérieuse » du droit à la liberté d’expression (qui inclut celui de recevoir des informations) de la demanderesse[39]. Aucune pesée des intérêts en présence n’était possible : la seule présence de données personnelles dans les documents requis empêchait leur divulgation sans qu’il ne soit procédé à un « contrôle minutieux » de la restriction du droit d’accès que la demanderesse pouvait tirer de l’art. 10 CEDH. La Cour EDH a condamné ce schématisme en imposant qu’il soit toujours procédé à une pesée des intérêts en présence au cas d’espèce[40]

Contrairement aux attentes[41], la Cour EDH s’est toutefois bien gardée d’ouvrir un droit d’accès général aux documents en mains d’autorités publiques. Elle a précisé considérer que « l’article 10 CEDH n’accorde pas à l’individu un droit d’accès aux informations détenues par une autorité publique, ni n’oblige l’État à les lui communiquer »[42]. Ce n’est que lorsque l’accès à l’information est déterminant pour l’exercice par l’individu de son droit à la liberté d’expression, en particulier « la liberté de recevoir et de communiquer des informations », et que refuser la divulgation de cette information constitue une ingérence qu’un tel droit d’accès peut naître, aux conditions précitées.   

La CPDT-JUNE est plus généreuse à bien des égards puisqu’elle accorde un accès à toute personne, sans justification de son intérêt. Le demandeur peut être mû par la seule curiosité ; il n’est pas exigé que sa demande d’accès s’inscrive dans l’exercice de sa liberté d’expression ni qu’il joue un rôle de sentinelle particulier. Le privilège accordé aux médias se limite à prendre en compte, dans la mesure du possible, les besoins et les contraintes des différents médias[43]. Lorsque des données personnelles figurent dans les documents demandés (comme dans le cas Magyar Helsinki Bizottsàg), l’art. 72 al. 3 let. a CPDT-JUNE impose également – en conformité avec l’arrêt CEDH Magyar Helsinki Bizottság – de mettre en balance les intérêts à la transparence et ceux au respect de la sphère privé. Elle n’exclut ainsi pas automatiquement, contrairement à la loi hongroise, la divulgation de tels documents. 

En revanche, dans les situations saisies par l’art. 72 al. 1 à 3 CPDT-JUNE, l'accès est nié sans qu'il soit procédé à une véritable pondération des intérêts en présence, le législateur ayant anticipé cette mise en balance. Il faut relever dans ce contexte que le Tribunal fédéral a confirmé cette interprétation à la faveur d'un arrêt prononcé le 27 septembre 2017[44] soit après celui de la CEDH, sans qu’il soit fait référence à ce dernier, quand bien même le demandeur était un journaliste et que le Tribunal fédéral a rappelé que les libertés de l’information et des médias consacrées aux art. 16 et 17 Cst. pouvaient être invoquées à l’appui de la requête d’accès, le principe de la transparence contribuant à leur réalisation.

Ainsi, la jurisprudence est conforme aux prescriptions de l'arrêt Cour EDH Magyar Helsinki Bizottság, dans la mesure où elle impose à l’autorité saisie d’évaluer in casu si la divulgation porterait une atteinte sérieuse et importante aux intérêts prédéfinis in abstracto par le législateur à l’art. 72 al. 1 à 3 CPDT-JUNE. En effet, la protection des documents concernés doit être indispensable à la sauvegarde de l'intérêt public ou privé reconnu par le législateur comme prépondérant en cause. Pour ce faire, trois conditions doivent être remplies:

  1. un intérêt public ou un intérêt privé ;

  2. un intérêt public ou privé reconnu in abstracto comme prépondérant ;

  3. une protection du document qui soit in concreto indispensable à la sauvegarde de celui-ci. Elle est indispensable si elle est absolument nécessaire, en ce sens que, si l’accès aux documents est accordé, l’intérêt public ou privé important prédéfini en cause serait gravement affecté.

L’autorité doit donc bien procéder à une évaluation au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, faute de vider de son sens le régime des exceptions à la transparence

Cette méthode, appelée aussi « test du préjudice » délègue à l’autorité l’examen de l’existence d’une atteinte[45]. En ce sens, elle lui ménage ainsi une certaine et nécessaire marge d’appréciation conforme au principe de la proportionnalité, quand bien même la jurisprudence s’est montrée exigeante tant dans l’évaluation de l’atteinte que dans le risque de réalisation de celle-ci. 

Si ce test n’implique pas la même pesée des intérêts que celle prescrite en présence de données personnelles, on est néanmoins loin de l’automatisme épinglé par l’arrêt de la Cour EDH Magyar Helsinki Bizottság, comme il a été exposé précédemment. De surcroît, en vertu du principe de la proportionnalité, l’accès à la documentation protégé par l’un des intérêts figurant à l’art. 72 al. 1 à 3 CPDT-JUNE ne serait pas purement refusé : seules les parties concernées devraient faire l’objet d’une restriction. A cela s’ajoute encore que la jurisprudence CEDH Magyar Helsinki Bizottság ne trouve application que dans des conditions spécifiques, au premier chef desquelles, il faut que soit en jeu la liberté d’expression du demandeur, ce qui n’est pas le cas de toutes les demandes.

Ainsi, l'arrêt de la Cour EDH Magyar Helsinki Bizottság ne remet pas en cause les interprétations jurisprudentielles des arts. 72 al. 1 à 3 CPDT-JUNE.

   

Notes

[1] art. 57 CPDT-JUNE          [retour au texte]

[2] ATF 142 II 340 consid. 2.2, 142 II 324 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_462/2018 du 17 avril 2019 consid. 3.2 ; ATAF 2016/18 consid. 4.1, 2014/24 consid. 3.1.          [retour au texte]

[3] ATF 136 II 399 consid. 2.1 ; ATAF 2011/52 consid. 3 ; parmi d’autres : arrêts du Tribunal administratif fédéral A-683/2016 du 20 octobre 2016 consid. 3.1.          [retour au texte]

[4] art. 2 CPDT-JUNE          [retour au texte]

[5] art. 2 et 69 ss CPDT-JUNE          [retour au texte]

[6] art. 69 CPDT-JUNE          [retour au texte]

[7] ATF 142 II 340 consid. 2.2, 133 II 209 consid. 2.1.          [retour au texte]

[8] Art. 70 CPDT-JUNE         [retour au texte]

[9] ATF 142 II 340 consid. 2.2 et réf. Cit.          [retour au texte]

[10] ATF 142 II 324 consid.3.4 ; ATAF 2014/24 consid. 3, ATAF 2011/52 consid. 6 ; Message du Conseil fédéral relatif à loi fédérale sur la transparence [Message LTRANS], FF 2003 1807, 1844 ; PASCAL MAHON/OLIVIER GONIN in : Stephan C. Brunner/Luzius Mader [éd.], Öffentlichkeitsgesetz, Handkommentar, Berne 2008 [ci-après : Öffentlichkeitsgesetz], ad art. 6 N 11.          [retour au texte]

[11] Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-6/2015 du 26 juillet 2017 consid. 4.1.         [retour au texte]

[12] ATF 142 II 324 consid. 3.6 ; ISABELLE HÄNER, in Öffentlichkeitsgesetz, ad art. 15 N 8.         [retour au texte]

[13] ATF 144 II 77 consid. 3 ; ATAF 2014/24 consid. 3.4, 2011/53 consid. 6, 2013/50 consid. 8.1, arrêts du Tribunal administratif fédéral A-6475/2017 du 6 août 2018 consid. 3.2.3, A-3884/2017 du 6 septembre 2018 consid. 3.3.1, A-3649/2014 du 25 janvier 2016 consid. 8.2.1, A-3621/2014 du 2 septembre 2015 consid. 4.2.1, A-700/2015 du 26 mai 2015 consid. 4.2 ; URS STEIMEN, in Maurer-Lambrou/Blechta [éd.], Basler Kommentar Datenschutzgesetz, Öffentlichkeitsgesetz, 3 éd., 2014 [BSK DSG/BGÖ], ad art. 7 LTRANS N 3; BERTIL COTTIER/RAINER J. SCHWEIZER/NINA WIDMER, in : Öffentlichkeitsgesetz, ad art. 7 N 3 et 5.         [retour au texte]

[14] ATAF 2013/50 consid. 8.1, ATAF 2011/52 consid. 6 ; URS STEIMEN, in BSK DSG/BGÖ, ad art. 7 LTRANS N 4, COTTIER/SCHWEIZER/WIDMER, in: Öffentlichkeitsgesetz, ad art. 7 N 4.        [retour au texte]

[15] ATF 144 II 77 consid. 3, 142 II 340 consid. 2.2, 133 II 209 consid. 2.3.3        [retour au texte]

[16] ATF 142 II 324 consid. 3.4          [retour au texte]

[17] arrêts du Tribunal administratif fédéral A-3649/2014 du 25 janvier 2016 consid. 8.2.1, A-700/2015 du 26 mai 2015 consid. 4.2 et les réf. Citée.          [retour au texte]

[18] arrêts du Tribunal administratif fédéral A-6054/2013 du 18 mai 2015 consid. 3.2, A-6291/2013 du 28 octobre 2014 consid. 7; voir aussi Office fédéral de la justice [OFJ], Loi sur la transparence: guide pour l'appréciation des demandes et check-list, du 2 août 2013, p. 5.     [retour au texte]

[19] ATF 142 II 324 consid. 3.3 ; 142 II 313 consid. 3.6 ; ATAF 2013/50 consid. 9.3, arrêts du Tribunal administratif fédéral A-6475/2017 du 6 août 2018 consid. 3.2.2 ; A-3367/2017 du 3 avril 2018 consid. 3.4.           [retour au texte]  

[20] ATF 133 II 209 consid. 4.2 ; ATAF 2011/52 consid. 5.1, arrêt du Tribunal administratif fédéral A-6313/2015 du 27 avril 2016 consid. 5.7.1.         [retour au texte]     

[21] Message LTRANS, p. 1853.          [retour au texte]          

[22] ATF 144 II 91 consid. 3.1, 142 II 340 consid. 3.2, arrêt du Tribunal fédéral 1C_562/2017 du 2 juillet 2018 consid. 3.2 ; ATAF 2013/50 consid. 8.2 COTTIER/SCHWEIZER/WIDMER, in : Öffentlichkeitsgesetz, ad art. 7 N 41; HÄNER in : BSK DSG/BGÖ, ad art. 7 LTRANS N 38).          [retour au texte]   

[23] arrêts du Tribunal administratif fédéral A3649/2014 du 25 janvier 2016 consid. 8.2.2, A-1592/2014 du 22 janvier 2015 consid. 5.4 ; HÄNER in : BSK DSG/BGÖ, ad art. 7 LTRANS N 33            [retour au texte]   

[24] intérêt objectif au maintien du secret ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_562/2017 du 2 juillet 2018 consid. 3.2, arrêts du Tribunal administratif fédéral A-3621/2014 précité consid. 4.2.2 et réf. cit. ; A-3649/2014 du 25 janvier 2016 consid. 8.2.2.           [retour au texte]   

[25] arrêts du Tribunal administratif fédéral A-3667/2017 du 3 avril 2018 consid. 6.2 t les réf. citées, A3291/2010 du 17 juin 2011 consid. 5.2.          [retour au texte] 

[26] ATF 142 II 340 consid. 4.2, ATF 140 I 2 consid. 9.1.         [retour au texte] 

[27] ATF 142 II 340 consid. 4.2, arrêt du Tribunal fédéral 1C_74/2015 du 2 décembre 2015, consid. 4.1.          [retour au texte] 

[28] Message LTRANS, FF 2003 1807ss, spéc. 1873 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_50/2015 du 5 février 2016 consid. 5.2.2 ; ATAF 2013/50 consid. 9.5 p. 791 s.          [retour au texte] 

[29] ATF 142 II 340 consid. 4.4         [retour au texte] 

[30] art. 73 CPDT-JUNE.          [retour au texte] 

[31] ALEXANDRE FLÜCKIGER/VALÉRIE JUNOD, La reconnaissance d’un droit d’accès aux informations détenues par l’Etat fondée sur l’art. 10 CEDH, in : Jusletter 27 février 2017, p. 24 ss.         [retour au texte] 

[32] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 158.          [retour au texte] 

[33] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 162 ; ég. arrêt du Tribunal fédéral 1C_447/2016 du 31 août 2017 consid. 5.5          [retour au texte]  

[34] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 164.          [retour au texte]  

[35] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 168.          [retour au texte]   

[36] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 169.          [retour au texte]  

[37] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 170.         [retour au texte]  

[38] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 181.          [retour au texte]  

[39] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 199.          [retour au texte]  

[40] aussi le commentaire de ISABELLE HÄNNER, Oeffentlichkeitsprinzip in der Steuerverwaltung, in : Expert Focus 67/2017, p. 24 ss.          [retour au texte]  

[41] à cet égard la critique de BERTIL COTTIER, Accès aux documents administratifs : La Cour EDH pose des critères précis, in : Medialex 2017 p. 148, 157s.          [retour au texte]  

[42] arrêt Magyar Helsinki Bizottság, § 156.          [retour au texte]   

[43] art. 58 CPDT-JUNE.          [retour au texte]  

[44] ATF 144 II 77 consid. 3 et 5.7.          [retour au texte]  

[45] PIERRE MOOR/ALEXANDRE FLÜCKIGER/VINCENT MARTENET, Droit administratif, vol. I, Berne 2012, n° 7.2.4.3, p. 966 ; ANNINA KELLER/DANIEL KÄMPFER, Öffentlichkeitsgesetz: Gerichte stärken das Recht auf Zugang zu Verwaltungsakten, in: Medialex 2018 p. 79 n° 35 ; KELLER/KÄMPFER Öffentlichkeitsgesetz: die neuere Rechtsprechung im Lichte des gesetzgeberischen Konzepts und seinen Stolpersteinen, in: Medialex 2017 p. 95 n° 26; URS STEIMEN, in BSK DSG/BGÖ, ad art. 7 LTRANS N 4.         [retour au texte]  

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