Préposé à la protection des données et transparence Jura-Neuchâtel

Destruction/effacement des données des fichiers de police (2020.3422)

Protection des données

Après avoir été acquitté, reçu une ordonnance de classement, de non-lieu ou de non-entrée en matière, est-il possible d’obtenir l’effacement/destruction de ses données personnelles contenues dans les fichiers de police ?

Avis du PPDT 2020.3422 publié le 2 novembre 2020, mis à jour le 28 septembre 2021

La destruction/effacement des données de police peut intervenir aux conditions cumulatives suivantes :

  1. Un acquittement, une ordonnance de classement, de non-lieu ou de non-entrée en matière ont été rendus.

  2. La conservation ne doit plus être utile pour prévenir, rechercher ou réprimer des infractions.

  3. L'appréciation de l’utilité doit être faite par une pesée des intérêts en présence. Pour ce faire, il convient de prendre en considération la gravité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux du requérant par le maintien des inscriptions litigieuses à son dossier de police, les intérêts des victimes et des tiers à l'élucidation des éléments de fait non encore résolus, le cercle des personnes autorisées à accéder au dossier de police et les intérêts de la police à pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont dévolues.

  4. La pesée entre les intérêts des requérants et ceux des victimes doit se faire en prenant en compte le degré de gravité de l'infraction, notamment lorsque cette dernière est relative au crime organisé, à des agressions sexuelles ou des actes de violence lors de braquages à main armée.

La destruction/effacement des données est prévue aux articles 98 de la loi jurassienne sur la police cantonale (LPol, RSJU 551.1) et 105 de la loi neuchâteloise sur la police (LPol, RSN 561.1).

1 Les données qui ne sont plus nécessaires à l'accomplissement des tâches de la police cantonale sont effacées.

2 La police cantonale règle les modalités ainsi que la procédure d'effacement de ses données.

3 Toute personne mise formellement hors de cause peut demander, par écrit, à la police cantonale la destruction des pièces du dossier personnel, ainsi que l'effacement du matériel photographique et dactyloscopique recueilli.

4 Le commandant, ou le collaborateur désigné par lui, ordonne l'exécution de l'effacement.

5 Aussi longtemps que la conservation des données représente un intérêt pour la poursuite pénale, le commandant en refuse la destruction.

Particulièrement deux arrêts du Tribunal fédéral contribuent à mieux saisir la notion « données qui ne sont plus nécessaires ».

Le premier, publié le 25 mai 2012, rappelait qu'une décision de non-entrée en matière, un classement ou encore un acquittement ne suffisaient pas à eux seuls à exclure que certaines informations concernant la situation de la personne fichée puissent encore apporter des renseignements utiles, en particulier lorsque les infractions à l'origine de l'enquête pénale demeuraient non élucidées (ATF 138 I 256 consid. 5.3 in fine p. 261). La question de savoir si les pièces peuvent être conservées au dossier, malgré le classement de la procédure, doit être résolue au regard de toutes les circonstances déterminantes du cas d'espèce (ATF 138 I 256 consid. 5.5 p. 262; arrêt 1C_51/2008 du 30 septembre 2008 consid. 4.2 in ZBl 110/2009 p. 389). Dans la pesée des intérêts en présence, il convient de prendre en considération la gravité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux du requérant par le maintien des inscriptions litigieuses à son dossier de police, les intérêts des victimes et des tiers à l'élucidation des éléments de fait non encore résolus, le cercle des personnes autorisées à accéder au dossier de police et les intérêts de la police à pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont dévolues (ATF 138 I 256 consid. 5.5 p. 262).

Dans ce cas d’espèce, alors qu’il s’agissait d’un candidat à un poste au sein de la police, les juges ont décidé que l'utilité potentielle des données en lien avec la procédure pénale ouverte contre le recourant, de chefs d'escroquerie et de faux dans les titres, devaient en outre être relativisés pour le travail de la police, la prévention et la répression des infractions. Le recourant n'ayant jamais été condamné ou poursuivi pénalement avant les faits ayant donné lieu à la procédure pénale litigieuse, la conservation de ces données ne se justifiait pas dans la perspective d'une éventuelle récidive. Le Tribunal fédéral ajoutait arriver à la même conclusion en regardant les infractions en cause. Il jugeait qu’une escroquerie et un faux dans les titres, prétendument commis dans le cadre d'une transaction entre deux particuliers, n'étaient pas comparables, quant à leur gravité, à des causes relevant de la criminalité organisée ou à des infractions contre l'intégrité physique ou sexuelle, pour lesquelles la jurisprudence admet que l'on puisse se montrer plus sévère pour déterminer si et dans quelle mesure les données doivent être conservées au dossier de police de l'intéressé dans l'intérêt des victimes potentielles (cf., entre autres, arrêt de la CourEDH dans la cause M. K. contre France du 18 avril 2013, § 41). La probabilité que ces données puissent servir aux investigations ultérieures de la police ou à la prévention d'autres infractions est purement théorique. Leur utilité pour la prévention générale des infractions est donc faible. Dans la pesée des intérêts, il convient également de prendre en considération le fait que toutes les pièces de l'enquête de police figurent dans le dossier de la procédure pénale, qui reste en mains du Ministère public. 

Dans le second arrêt, publié en novembre 2014, le Tribunal fédéral jugeait (arrêt 1C_363/2014 du 13 novembre 2014) que, suite à une ordonnance de classement rendue par le Ministère public, une personne accusée de recel pouvait demander la destruction partielle de son dossier détenu par la police judiciaire. Pour les juges, la conservation de données personnelles dans les dossiers de police judiciaire portait une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l'intéressé, dont la protection est garantie aux articles 8 CEDH (RS 0.101) et 13 Cst (RS 101), tant que ceux-ci pouvaient être utilisés ou, simplement, être consultés par des agents de la police ou être pris en considération lors de demandes d'informations présentées par certaines autorités, voire même être transmis à ces dernières (ATF 126 I 7 consid. 2a p. 10 et les arrêts cités; voir aussi, ATF 138 I 256 consid. 4 p. 258 et arrêt 1C_51/2008 du 30 septembre 2008 consid. 3.1 in ZBl 110/2009 p. 388). Pour être admissible, cette atteinte doit reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnée au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst.). La conservation au dossier de police judiciaire des données relatives à la vie privée d'une personne condamnée au motif qu'elle pourrait récidiver est conforme au principe de la proportionnalité (arrêt de la Cour EDH Khelili précité, § 66). En revanche, tel n'est, en principe, pas le cas de la conservation de données personnelles ayant trait à une procédure pénale close par un non-lieu définitif pour des motifs de droit, un acquittement ou encore un retrait de plainte ; il importe à cet égard peu que le prévenu acquitté ait été condamné aux frais de justice au motif qu'il a donné lieu, par son comportement, à l'ouverture de l'enquête pénale (arrêt 1P.46/2001 du 2 mars 2001 consid. 2a, 2b et 2c).

En novembre 2015, les juges fédéraux admettaient la destruction des pièces se rapportant à une procédure pénale pour escroquerie et faux dans les titres s'étant clôturée par une ordonnance de classement. Ils soulignaient que, pour les causes relevant de la criminalité organisée ou des infractions contre l'intégrité physique ou sexuelle, la jurisprudence admette que l'on puisse se montrer plus sévère pour déterminer si et dans quelle mesure les données devaient être conservées au dossier de police de l'intéressé dans l'intérêt des victimes potentielles (arrêt 1C_307/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2).

Selon une analyse doctrinale de 2017, les arrêts détaillés ci-dessus, ainsi que ceux auxquels il est renvoyé, constituaient une jurisprudence quelque peu fluctuante du Tribunal fédéral. Les juges semblaient hésiter entre la présomption d’innocence et l’intérêt public, de plus, en affirmant parfois, qu’un classement signifiait ipso facto la destruction des données de police et soutenant le contraire dans plusieurs autres arrêts (Stéphane Grodecki, Le droit à l’effacement de données personnelles face au dossier de police, in Plädoyer 4/17, p. 25).

Depuis lors, notre Cour suprême a rendu un nouvel arrêt en juin 2020 sur ces mêmes questions (1C _580/2019 du 12 juin 2020). Dans ce nouveau cas d’espèce, elle a admis la destruction de pièces relevant de la petite délinquance, telle que l’achat de boulette de cocaïne ou un vol dans un magasin, en faveur d’un recourant souhaitant entamer un stage d’avocat.

La conservation des données personnelles dans les dossiers de police judiciaire tient à leur utilité potentielle pour la prévention, l'investigation et la répression des infractions pénales. Elle poursuit ainsi des buts légitimes liés à la défense de l'ordre public et à la prévention des infractions pénales (arrêt de la CourEDH Khelili contre Suisse du 18 octobre 2011, § 59). La conservation au dossier de police judiciaire des données relatives à la vie privée d'une personne condamnée au motif que cette dernière pourrait récidiver est conforme au principe de la proportionnalité (arrêt de la CourEDH Khelili précité, § 66). A cet égard, il est possible de se montrer plus strict dans cet examen, dans l'intérêt des victimes potentielles, lorsque les faits relèvent de la criminalité organisée ou se rapportent à des infractions contre l'intégrité physique ou sexuelle (arrêt 1C_307/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2).

La question de savoir si les documents et autres pièces litigieuses présentent une utilité pour la prévention ou la répression des infractions et si elles peuvent être conservées au dossier de police judiciaire du recourant doit être résolue au regard de toutes les circonstances déterminantes du cas d'espèce (ATF 138 I 256 consid. 5.5 p. 262; arrêt 1C_51/2008 du 30 septembre 2008 consid. 4.2 in ZBl 110/2009 p. 389). Dans la pesée des intérêts en présence, il convient de prendre en considération la gravité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux du requérant par le maintien des inscriptions litigieuses à son dossier de police, les intérêts des victimes et des tiers à l'élucidation des éléments de fait non encore résolus, le cercle des personnes autorisées à accéder au dossier de police et les intérêts de la police à pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont dévolues (ATF 138 I 256 consid. 5.5 p. 262).

Dans ce cas d'espèce, la pesée d’intérêt des juges a été la suivante :

« Les pièces litigieuses se rapportent à des infractions non contestées, de sorte que leur maintien au dossier de police judiciaire du recourant ne présente aucune utilité pour la répression pénale. Les infractions relèvent de la petite délinquance, comme le relève le Juge intimé, et remontent à plus de dix ans. Elles ont été commises alors que le recourant était âgé de vingt-trois ans, qu'il venait d'arriver en Suisse avec un statut provisoire de requérant d'asile et qu'il n'avait ni travail ni revenu. Depuis lors, le recourant a entrepris une formation professionnelle dans le domaine juridique qu'il entend compléter par un stage d'avocat; il ne ressort pas du dossier qu'il aurait commis des infractions de même nature. Dans ces circonstances, il convient de retenir que les pièces recueillies en lien avec les vols commis au préjudice des Grands Magasins Manor et la contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants ont perdu toute utilité pour la prévention des infractions pénales ou d'une éventuelle récidive et que leur maintien au dossier de police judiciaire du recourant ne s'impose pas au regard des objectifs poursuivis par la LDPJu. ».

En se référant aux arrêts précités, des auteurs résument les conditions d'effacement ainsi :

La conservation des données personnelles dans les dossiers de la police judiciaire tient à leur utilité potentielle pour la prévention des crimes et délits ou la répression des infractions. Le dossier d’une procédure close est ensuite conservé au moins jusqu’à l’expiration des délais de prescription de l’action pénale et de la peine (art. 103 al. 1 CPP). Même une décision de non-entrée en matière, de classement ou d’acquittement ne suffit pas à exclure que certaines informations concernant la situation de la personne puissent encore apporter des informations utiles, en particulier lorsque les infractions qui ont donné lieu à l’enquête demeurent non élucidées. La radiation de certains documents du dossier de police doit ainsi résulter d’une appréciation de toutes les circonstances déterminantes et d’une pesée des intérêts en présence. Ont par exemple été radiées des données qui ne présentaient qu’une faible utilité pour la prévention générale des infractions et qui figuraient toujours au dossier d’une procédure pénale classée. Ont en revanche été maintenues des pièces relatives à des infractions poursuivies d’office, pour lesquelles l’intéressé a été condamné à une amende et ayant trait à son activité professionnelle. (Yaniv Benhamou, Jean-René Oettli, Traitement des données par les autorités pénales : de l’accès aux données à la procédure de tri, RPS 139/2021 p. 209, 232 s).

Au niveau cantonal, plusieurs arrêts traitent de la question de l'effacement des données détenues par la police :

  • Arrêt du 30 avril 2019 de la Chambre administrative GE, ATA/339/2019 : condamner pour injures, menaces de mort et infraction à la législation fédérale sur les armes ; demande d'effacement 43 mois après la condamnation ; personne concernée désire exercer la profession d'agent de sécurité ; effacement refusé.

  • Arrêt du 26 juillet 2016 de la Chambre administrative GE, ATA/636/2016 : condamner pour de vols, tentative de vol, complicité de vol, recel et incendie intentionnel ; demande d'effacement 7 ans après la condamnation ; personne concernée désire entamer une carrière de policier ; effacement refusé.

  • Arrêt du 12 février 2016 de la Cour de droit administratif VD, GE.2015.0162 : pas de condamnation suite à une intervention pour des menaces et bruit avec séquestration d'arme ; demande d'effacement 5 ans après les faits ; motivation non mentionnée dans l'arrêt ; effacement accepté, sauf pour le séquestre.

  • Arrêt du 21 avril 2015 de la Chambre administrative GE, ATA/365/2015, annulé par l'arrêt du TF du 25 novembre 2015 1C_307/2015 : ordonnance de classement pour faux dans les titres et escroquerie, demande d'effacement 2 mois après l'ordonnance ; personne concernée souhaite entrée à l'école de police ; effacement accepté.

  • Arrêt du 29 octobre 2013 de la Chambre administrative GE, ATA/717/2013 : ordonnance de classement pour une infraction d'ordre sexuel ; demande d'effacement 3 ans après l'ordonnance; personne concernée touchée dans sa personnalité ; effacement accepté.

  • Arrêt du 23 avril 2012 de la Chambre administrative GE, ATA/190/2012 : ordonnance de classement pour une infraction d'ordre sexuel ; demande d'effacement 10 ans après le classement ; personne concernée à la recherche d'un emploi ; effacement accepté.

En conclusion, lorsqu’une demande d’effacement est faite sur la base des articles 98 de la loi jurassienne sur la police cantonale (LPOL, RSJU 551.1) ou 105 de la loi neuchâteloise sur la police (LPol, RSN 561.1), il convient de suivre en particulier les critères posés dans le dernier arrêt du TF précité pour trancher les questions de destruction des données figurant dans les fichiers de la police, tout en prenant en compte les cas d'espèce cantonaux.

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